C'était un matin comme un autre. Moi, Gülferalynê, humble Bosmer sans histoire, croupissais dans une geôle de la Cité impériale, pour un quelconque crime dont j'ignorais tout (j'étais insouciant, cela ne me dérangeait pas plus que ça). Deux gardes débarquèrent dans ma cellule en escortant l'empereur Uriel Septim en personne, et me demandèrent de rester immobile pendant qu'ils ouvraient un age secret derrière ma couche, qui allait permettre notre fuite. Je dis "notre fuite", et pas "leur fuite", car malgré l'ordre qui me fut plusieurs fois intimé de rester dans ma cellule pendant que le trio s'aventurait dans les profondeurs du donjon, j'entrepris sans hésiter de les suivre, bondissant de joie d'avoir recouvré la liberté. C'était une autre époque, une époque que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, où l'on n'était que peu à cheval sur les protocoles de sécurité des empereurs, qu'on laissait tranquillement se faire coller au train par des repris de justice armés en ne leur offrant pour toute escorte que deux soldats dépenaillés qui trébuchaient dans les escaliers. Tandis que nous avancions en des successions d'animations saccadées qui étaient le dernier cri de Lutèce, des méchants en capuche rouge apparurent de nulle part et s'élancèrent pour poignarder l'empereur, qui n'en fut pas immédiatement affecté : il savait que, comme tout le monde alors à Tamriel, il avait le pouvoir d'arrêter le temps en parlant à quelqu'un. Il se mit donc à me dire calmement, pendant que la dague qui allait lui transpercer le cou était suspendue à quelques centimètres de sa carotide, qu'il avait encore rêvé de moi ; et je dois ettre avoir cru, à cet instant, à l'éventualité d'une romance, à la possibilité d'une vie heureuse, avec mon empereur, avec mes enfants héritiers, à une existence riche et paisible, contemplant un soir après l'autre le soleil se coucher sur la baie de Nibenay, caressant tendrement la ride du lion d'Urielichou. J'en fus pour mes frais : il décéda, juste après m'avoir informé qu'il avait un héritier caché que je devais retrouver. Les gardes, qui obéissaient tant bien que mal au script les ayant éloignés le temps du meurtre, me virent, sans broncher, avec le cadavre de l'empereur à mes pieds, sans me soupçonner une seule seconde. "Nous avons échoué", dit l'un d'eux ; j'aquiesçai, avant de lui demander l'air de rien la direction du monastère où était retenu Martin, l'héritier caché, car tel était son nom. Je ne revis plus Baurus, le garde de l'empereur, mais je soupçonne qu'il a changé de carrière.
Pour la suite, c'est un peu embrumé. Pas ma mémoire, hein, mais Cyrodil. (Ou Cyrodiil, je ne sais pas trop, les livres de géographie hésitent à trancher. C'est comme les provinces d'à côté, on ne sait pas trop si elles s'appellent Hammerfell ou Lenclume, Skyrim ou Bordeciel. Mais ne faites pas attention aux divagations d'un vieux débris. Je n'ai jamais trop compris tout ça.) Cyrodil était sous un brouillard de guerre à couper au couteau. J'avais pourtant vérifié les réglages, j'avais mis la distance d'affichage au maximum, mais c'était comme si un voile de pollution se répandait sur le monde au-delà de vingt mètres. Une vieille légende locale me revint en tête : la malédiction de l'Unreal Engine. On disait qu'il y a fort longtemps, un moteur appelé Gamebryo permettait d'afficher des paysages verts fluo, et où la vue portait loin par beau temps. Je pensais que ce n'était qu'une histoire qu'on racontait aux enfants pour qu'ils soient sages. Et pourtant, elle se matérialisait sous mes yeux, avec cette lumière de matin gris, ces filtres de couleurs jaune pisse : la mort de l'empereur Uriel Septim avait déclenché la colère des shaders. Je sortis ma carte, qui mit quelques minutes à charger : le prieuré de Weynon n'était qu'à deux kilomètres au nord. En avançant à un bon rythme de 40 images par seconde en mode DLSS qualité, j'y aurais été avant midi ; je décidai donc de m'offrir un crochet shopping par la majestueuse Cité impériale, dont l'architecture circulaire totalement débile avait rendu fou la plupart des habitants, au point que la plupart s'était finalement suicidée en ingérant des poches de silicone par un sombre après-midi qui fut par ailleurs abondamment chroniqué sur Antenne 2. Son statut de capitale ne trompait personne : on s'y croyait en banlieue de Roubaix un dimanche de pluie. Hagards, ses trois habitants y erraient sans but, non sans me demander comment j'allais quand ils me voyaient, ce que j'appréciai, sortant d'un long séjour en prison. Cela ne me suffit toutefois pas pour me donner envie d'y rester plus de sept secondes, aussi filai-je à grandes enjambées vers la porte nord pour entamer mon périple vers Chorrol.
J'affrontai quelques loups, des rats, un bandit, qui étaient, par bonheur, tous exactement aussi forts que moi. C'était très pratique, je n'avais pas besoin de faire trop attention, et j'avais presque envie de leur dire merci avant de leur porter le coup de grâce : ils n'étaient ni trop agressifs, ni trop peu. Leur niveau se calait parfaitement sur le mien, et me permettait de me remettre en forme après tout ce temps à croupir dans ma geôle. Débarquant au prieuré le fessier ainsi raffermi, j'expliquai la situation en deux mots au curé, qui me dit d'accord, okay. Il me demanda d'aller chercher ledit héritier, qui, lorsque je le trouvai, me tint le même discours : d'accord, okay. J'irai son flegme, lui qui venait d'apprendre qu'il était non un pauvre roturier ne se nourrissant que de pommes de terre pourries, mais bien le fils caché de l'empereur et désormais promis à accéder au trône : il n'en avait strictement rien à carrer. Jamais, au grand jamais, n'avais-je vu un individu se foutre autant de ce que je lui disais. C'était comme s'il planait au-dessus des hommes. Je n'eus même pas à le convaincre que je n'étais pas fou, ni même à lui fournir des preuves de ce que j'avançais : il me dit qu'il avait envie de me faire confiance parce que j'avais une bonne tête - ce qui était vrai, j'avais é du temps à me maquiller de mon plus beau vert à lèvres et à choisir cette perruque à nattes roses fluo. C'est pourtant quand nous nous séparâmes devant les portes de la ville que je me dis qu'il n'était peut-être pas l'idiot qu'il paraissait être. En effet, après avoir patienté pendant l'écran de chargement séparant la ville de la campagne (lequel, disait-on, n'existait pas en Morrowind - je rêvais d'y aller un jour, pour vivre ma vie en free roaming), je me retrouvai de l'autre côté de ladite porte... sans lui. Intrigué, en examinant sa localisation sur la carte du monde, je constatai qu'il était déjà arrivé à notre destination, à trois kilomètres de là. Il avait eu le temps de filer à l'autre bout de Cyrodil pendant que je ne franchissais qu'une simple porte ! Cet homme ne pouvait être qu'un puissant mage. J'en eus d'ailleurs très tôt une preuve supplémentaire, puisqu'à peine ayant enfourché mon cheval autoluminescent (ce qui avait d'ailleurs pour effet de me faire quitter mon corps pour adopter une perspective objective sur le monde, tout en affichant un énorme cadre avec le nom de mon cheval au milieu de la vue... ce n'était pas terrible, mais on s'y faisait), je vis Martin se matérialiser devant moi, arborant un sourire faussement niais. Suspicieux, je me mis à avancer au petit trot (c'était la seule vitesse possible des chevaux de Cyrodil, ils étaient tous beaucoup plus lents que des humains) en le surveillant dans mon rétroviseur. Il prenait soin de se bloquer dans les murs, de clipper dans les falaises, de se figer face au moindre rocher qui barrait sa route en me regardant d'un air béat, pour me faire croire qu'il était gogole. Mais, tout monté que j'étais sur mon cannasson qu'on avait privé de son armure clinquante (c'était déjà le monde d'après, la noblesse avait été éradiquée, les sexes étaient de type 1 et type 2, et un esprit de dangereuse censure communiste planait au-dessus des collines), je savais que je devais me méfier de lui.
Et puis, tout à coup, arrivant au prieuré pendant que Martin faisait semblant de ne pas arriver à contourner une souche d'arbre trois cent mètres derrière, je me rendis compte d'une chose : j'avais déjà vécu cette aventure. J'avais déjà foulé ces terres. Je n'étais pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, il me fallait un certain temps pour comprendre les choses, mais quand ça percutait, eh bien, ça percutait. Je revins alors à la hauteur de Martin, qui broutait tranquillement au pied d'une fougère, et plongeai mon regard anthracite dans le sien. Voici, mot pour mot, le discours que je lui tins, alors qu'il restait les bras ballants comme s'il ne comprenait rien à mon charabia : "Je veux bien être cool, mais il ne faut pas non plus se foutre de ma gueule. Que l'histoire soit complètement débile, incohérente et caricaturale au point que c'est sans nul doute la plus mauvaise jamais racontée dans un Elder Scrolls, e encore. Mais, ces paysages qui rament ? Ces couleurs beigeasse sans âme, qui me volent les verts pâturages de ma jeunesse ? Ces reliefs d'un autre temps, ses chemins de montagne à la verticale qui m'y renvoient un peu trop ? Ces assets en haute définition clairement libres de droit, sans personnalité, qui trahissent les couleurs vibrantes de mes souvenirs, et qui semblent avoir été récupérées sur le marketplace gratuit de la boutique Epic ? Ces donjons toujours tous identiques, qui ne mènent qu'à des culs-de-sac pourvus de coffres au contenu sans valeur ? Ces combats toujours sans intérêt ? Ce level scaling qui détruit toujours le sentiment de progression ? Cette pseudo-urgence qu'il existe toujours à progresser dans la quête principale alors qu'on nous invite en même temps à visiter plein d'endroits inutiles ?" Alors, à cet instant, Martin bugga. J'en avais l'habitude, car tout buggait, absolument tout : les personnages, les dialogues, les menus, le journal de quêtes, l'inventaire, les éclairages, les raccourcis, les scripts, les sorts, les animations, la caméra, les chevaux, l'IA ennemie, les textes, les musiques, les bruitages, les vêtements, la physique et les racines de nirnrave. Alors, face à ce bon Martin qui me regardait comme deux ronds de flan pendant que l'arrière de sa tunique faisait une vague bizarre sur dix mètres dans son dos, je me mis à rire, en pensant à ces gros branleurs de Zenimax, qui venaient de me refiler un remake de ma vie généré par intelligence artificielle, pour lequel ils ont pris des gens, leur ont demandé de copier/coller le code de l'original dans Chat GPT, de faire des nouveaux graphismes beaux mais quand même un peu moches et qui rament, et de vendre le bazar à 50 euros, 60 en version deluxe avec artbook numérique. J'ai essayé d'invoquer Bethesdos, le dixième des Neuf, pour lui expliquer qu'il fallait qu'il arrête deux secondes avec ses conneries. Il ne m'a pas écouté. Forcément, vu ma tronche.