Many Nights A Whisper est un jeu si court que le joueur moyen crierait à l'escroquerie.
Moins de 2 heures, illustrant une mouvance de petites expériences à bas prix et à contre-courant des mastodontes qui continuent encore et toujours la course au contenu et à la durée de vie.
(3h de mon côté car trop d'implication m'a fait boucler sur la perfection du tir au lieu de boucler l'expérience proprement dites.)
Le concept ; une (mal)heureuse élue se voit confier le rôle de Rêveur, contrainte à l’ermitage forcé, ayant pour finalité de rassembler les vœux et d'accomplir un rituel magique dont l'issue décidera de la réalisation des vœux collectés :
Il faut pour cela enflammer un calice grâce à un lanceur depuis une grande, très grande distance.
La boucle de gameplay est simple : le jour vous vous entrainez autant que vous voulez.
Le soir vous écoutez les vœux des habitants et recueillez leur tresse de cheveux si vous acceptez de les réaliser.
Mais une fois le jour de la cérémonie arrivé, vous n'aurez qu'une seule chance.
L’héroïne a beau s'être entrainée pendant 10 ans avant le début du jeu, votre lancer ne suffit pas à atteindre l'objectif, seules les tresses de cheveux recueillies lors de l'acceptation des vœux permettront d'atteindre le calice sacrée.
Un pitch simple qui incarne parfaitement sa thématique : le poids des responsabilités.
Jetons un coup d'oeil à la zone de jeu :
-une terrasse avec des calices cibles pour s'entrainer,
-un mur confessionnal pour recueillir les souhaits mais d'où il est impossible de voir (et même de parler) aux villageois et où leur apparence comme leur visage ne sont jamais montrées.
-reste donc deux personnages seulement, le Rêveur ainsi que son mentor, ancien Rêveur qui améliore notre lanceur en cousant les tresses collectées et nous porte conseil.
C'est tout. Les jeux de Deconstructeam ont toujours été sobre mais celui-ci prend le parti d'un minimalisme absolue.
Le jeu ne montre jamais. Il évoque. Il laisse au joueur le soin d'imaginer et de réfléchir pour incarner pleinement le rêveur.
Logique quand l'univers du jeu se plie littéralement au rêve des hommes redéfinissant les règles du monde après chaque cérémonie de la décennie. Le jeu laisse constamment planer le doute sur sa temporalité parlant tantôt de technologies présentes, ées voire futures. Ce monde sera forgée par votre imagination au sens propre comme figuré.
Revenons en cœur du jeu, le tir.
Son gameplay est à la fois minimaliste (une fois n'est pas coutume), mais aussi réaliste dans son exigence comme dans sa précision le rendant très anxiogène.
Le tir doit être chargé (longtemps), et détail très important il n'y absolument pas d'aide à la visée, tout se fait "à l’appréciation", il faut donc être extrêmement précis sur l'angle de tir d'autant que vous ne tirerez pas droit mais en parabole.
Une horreur.
Mais une horreur travaillée, à la précision et la maniabilité imprenables.
Jordi de Paco fait donc ce qu'il sait faire de mieux, prendre un gameplay simple et le mettre au service de thématique forte.
Sans vœux toucher le calice est impossible, mais une fois trop de vœux accumulés la puissance du lanceur devient quant à elle trop forte. On commence à paniquer car on tire trop loin, la fenêtre de tir devient très courte et le moment fatidique demandera une précision folle que seule une très fine poignée de chanceux ou de personne au talent affuté réussiront.
Toutes les requêtes que l'on reçoit des villageois sont des dilemmes moraux de personnes en détresse croulant sous le poids des responsabilités.
Accepter pour les soulager de ce fardeau tout comme ref sera une prise de responsabilité morale tout aussi pesante si ce n'est plus.
Je parle de la fin donc spoil mineur mais je pense que vous pouvez le lire sans gâcher l'expérience :
Peu importe l'issue du tir notre personnage ne era pas la pression, et subit une dépersonnalisation totale. Cependant, débarrassé de sa tâche, on peut entendre une libération et les crédits du jeu métreront fin à un enfermement autant physique que psychologique.
Aucun "choix" ne mènera à des conséquences, parti pris drastique mais omniprésent dans l’œuvre de Jordi de Paco qui s'attelle à mettre en scène les conséquences de choix moraux, tout en montrant une fatalité omniprésente quel que soit le parcours.
La vrai fin est d'ailleurs ironiquement celle où l'on échoue.
Tout le message est donc là, échouer et crouler sous la pression n'est pas grave, c'est une réaction humaine face à des attentes trop grandes. Il faut apprendre à lâcher prise pour vivre mieux, le jeu insiste bien sur cette phrase simple : "Vous êtes libre".
Many Nights A Whisper est une ode à l'escapisme où les rêves sont à la fois échappatoires mais aussi porteur d'un poids dont il faut briser les chaînes.
C'est un jeu d'une poignée d'heure dont la force évocatrice vous accompagne bien, bien après l'expérience finie.
Le jeu fait beaucoup avec peu, c'est impossible à quantifier, la note est donc un pur indicatif sensoriel. Sur les barèmes ancestraux du jeu vidéo, il serait bien en-dessous de la moyenne.
Many Nights A Whisper s'est incarné de manière subconsciente en moi et a provoqué un sentiment unique.
Deconstructeam accomplit définitivement ce qui me parle le plus dans l'art du jeu vidéo, le mettre sous l'exergue d'une composante émotionnelle forte et ça il le font vraiment vraiment bien, ils méritaient donc une belle mise en lumière.