"Killer Frequency", c'est d'abord un pitch prometteur : un jeu vidéo dans lequel nous incarnons un animateur radio d'une petite ville au fin fond des Etats-Unis. Un soir d'antenne, la station reçoit un appel du poste de police local : le shérif vient d'être sauvagement assassiné, et son meurtrier rôde désormais dans les rues à la recherche de nouvelles victimes. Les forces de l'ordre restantes décident de rediriger tous les appels d'urgence vers la station, dans l'espoir que le DJ puisse aider les futures proies du tueur.
L'idée de départ est pour le moins originale et prometteuse d'un gameplay intéressant. Cependant, autant le préciser tout de suite : malgré des qualités bien réelles "Killer Frequency" ne dée jamais le cadre de petite expérience sympathique, fast food vidéoludique qui sait tenir à l'estomac du joueur jusqu'au moment où ce dernier profite d'une pause pour prendre le temps de réfléchir sur ce qu'on essaye de lui faire avaler.
Le jeu prend le parti de se placer dans les années 80. Une nostalgie bien connue mais néanmoins curieuse, puisque cela fait presque quinze ans qu'on nous la sert à toutes les sauces et dans tous les media possibles. A vouloir surfer sur une vague déjà bien peuplée, on prend le risque de marcher sur les plates bandes des autres. La direction artistique respire le déjà vu certes, mais un pas de plus est franchi lorsqu'on prend le temps de la décortiquer : à bien regarder, "Killer Frequency" n'est pas spécialement consacré à la décennie qu'il prétend pourtant reprendre. L'histoire semble plutôt se er dans la réinterprétation fantasmée de la période, présente notamment dans l'imagerie de la synthwave. Le jeu cherche à susciter une ambiance et une nostalgie typique du mouvement, le problème étant que la direction artistique loupe complètement le coche : les vinyles ont des pochettes avec des codes graphiques des années 2020. Le bleu et le rose abondent alors que ces couleurs n'étaient pas vraiment caractéristiques de la période. Bien que j'apprécie ces choix esthétiques, je ne peux m'empêcher de me dire qu'en cherchant à construire un univers basé sur les codes d'une époque qui n'existe pas, on se retrouve face au problème d'une forme vacillante peinant à maintenir un fond cohérent. Le jeu a pourtant le mérite d'être relativement prenant : les énigmes, phases d'exploration et fausses pistes du scénario s'enchainent aisément, à un rythme soutenu. Elles sont néanmoins alourdies par cette tentative ratée de construire un univers et une identité artistique.
A mon sens, "Killer Frequency" pose un autre problème. Comme nombre de jeux indépendants,il est riche en références et autres clins d’œil. Les noms de rue constituant la ville sont basées sur des références à divers films d'horreur. Le scénario en lui-même est calqué sur les stéréotypes du genre. Le fait de suivre ces références va permettre à n'importe quel amateur de déduire aisément tous les twists de l'histoire à l'avance. Les personnages se réduisent également aux stéréotypes qui les inspirent : le politicien véreux est un politicien véreux. Le lycéen stupide est un lycéen stupide. Aucun enjeu autre que de survivre au tueur n'anime les personnages, leur permet de faire vivre une véritable histoire. Tous les échanges seront liés de près ou de loin aux affaires de meurtres, ce qui empêche l'univers de décoller de ses prémisses. Cette tendance au rien va même jusqu'à contaminer les mécanismes de gameplay : pour prendre un exemple, le premier puzzle est une référence directe au gameplay de "Keep Talking and Nobody Explodes", ce qui est même confirmé par le nom du succès allant avec sa résolution. Ce choix de positionnement donne à "Killer Frequency" un certain manque de fond, tant la majeure partie de son identité semble se perdre dans de vains exercices de référencements. Malgré l'effort certain mis en place, le jeu semble désespérément vide, manquant du relief naturel à la période, tel ce "mauvais goût" visuel typiquement 80's, que l'on pourrait par exemple retrouver l'emploi d'une imagerie géométrique ou le choix de polices d'écriture kitsch. Ces codes visuels sont néanmoins absents du jeu.
Si nous devions prendre un contre-exemple, nous pourrions réévoquer le jeu "Gone Home", qui prend place dans une maison familiale pendant les années 90. L'endroit était remplie de références plus ou moins subtiles à la période et à celles qui l'ont précédé, réussissant ainsi brillamment à construire une ambiance à la fois réaliste et... subjective. Dans le sens : "nous vous proposons notre vision de la période. Elle est orientée, biaisée, et c'est cette orientation qui lui donne une saveur". Les références ne venaient pas trop interférer sur le gameplay ou l'histoire, mais servaient au contraire d'appui pour solidifier leur impact émotionnel (1). Le parti pris est donc contraire à celui de "Killer Frequency", ce dernier semblant chercher dans son exercice de références plus une quête de légitimité qu'un véritable amour de la période qu'il souhaite dépeindre. C'est dommage, le jeu restant pourtant sympathique à parcourir, mais échouant à laisser une véritable trace chez le joueur.
(1) Ces références ont d'ailleurs été commentées dans ce ionnant guide présent sur Steam : https://steamcommunity.com/sharedfiles/filedetails/?id=183353245