Dave The Diver
7.4
Dave The Diver

Jeu de Nexon (2023Nintendo Switch)

Larbin Simulator 2023 (Sun & Pixel Edition)

Sur une petite île tropicale, un plongeur bedonnant fait sa sieste, profitant du beau soleil et du bon air. Son téléphone sonne alors et un homme d'affaire lui demande : « Que fais-tu sur cette plage alors que tu es plongeur ? »

L'intéressé répond : « J'ai pêché ce qu'il me fallait pour la journée. Je n'ai plus besoin de plonger.

– Mais alors que vas-tu faire du reste de ta journée ?

– Je comptais me poser, faire la sieste, puis boire un coup et manger avec mes proches... Bref, profiter de la vie sans me prendre la tête...

– Suis mon conseil : commence par pêcher plus longtemps. Avec les bénéfices, tu pourras acheter un gros bateau, tu ouvriras ta propre usine, tu quitteras ton île pour une vaste métropole, d’où tu dirigeras tes affaires.

— Moui, pourquoi pas... Mais dans quel intérêt ?

— Mais voyons ! Grâce à ça tu pourras introduire ta société en bourse ! Tu auras alors la possibilité de faire travailler tes actifs de telle manière à ce qu'ils te dégagent suffisamment de dividendes ! Et alors tu seras millionnaire !

— Millionnaire... Moui, pourquoi pas... Mais dans quel intérêt ?

— Eh bah ! Une fois millionnaire, tu pourras prendre ta retraite et t'installer tranquillement sur une île tropicale ! Tu pourras enfin te poser, faire un peu de plongée puis la sieste, boire un coup et manger avec tes proches ! Bref, tu pourras profiter de la vie sans te prendre la tête ! »


Cette histoire, vous l'avez sûrement déjà lue ou entendue quelque part, soit sur un site de développement personnel, soit racontée de la bouche d'un influenceur ou tout simplement d'un pote. Cette parabole qui souligne, sous forme de blague drôle, absurde et bien pensée, l'absurdité de l'idéal libéral capitaliste nous vient – de ce que j'ai cru comprendre en fouillant deux minutes sur le net – d'un spectacle écrit en 2014 par le comédien belge Dominique Rongvaux, intitulé Éloge de l'oisiveté, et dont le titre fait ouvertement référence à l'ouvrage de Paul Lafargue ; le chantre de l'émancipation des masses face aux injonctions productivistes de son époque...

Or, je trouve vraiment marrant de constater à quel point cette histoire colle finalement très bien à ce qui nous est raconté en introduction de ce Dave the Diver ; à tel point que je ne serais pas surpris de découvrir en cherchant un peu, qu'elle ait pu être à l'origine de ce jeu.

En tout cas, que la référence soit volontaire ou non, le fait est que je trouve beaucoup de cette parabole dans Dave the Diver : c'est un jeu fondamentalement drôle et bien pensé, néanmoins ça n'en reste pas moins un ouvrage qui souligne toute l'absurdité du système capitaliste et, malheureusement, souvent à ses dépends.


Alors d'accord, c'est vrai qu'au départ, ce qui domine, c'est surtout la franche sympathie que ce jeu parvient à générer sur nous sans trop forcer. Il faut dire que tout est fait pour qu'on se laisse charmer. D'un côté il y a ces personnages bonhommes, cette plage paradisiaque et ces couleurs chaleureuses qui savent nous mettre dans un état d'esprit de vacances sans trop d'exigence, et de l'autre côté on a cette narration qui, l'air de rien, est bien ficelée. On pose rapidement les enjeux, on installe tout de suite une situation risible d'exploitation manifeste et surtout on joue des archétypes séduisants de jeux indés à base de pixels et de voix minimalistes à la Celeste. Partant de cette base-là, il devient difficile de ne pas se montrer conciliant avec les mécaniques de jeu qui nous sont proposées. D'abord deux sessions d'une banale pêche aux poissons durant laquelle il faudra savoir jouer du couteau et du harpon pour remplir le plus possible sa besace tout en faisant attention à la surcharge et aux réserves limitées d'oxygène, puis une session du soir au restaurant de sushis durant laquelle il faudra préparer la carte puis assurer le service. Toutes les mécaniques mobilisées sont simples et accessibles : à chaque fois l'enjeu tient juste au fait de savoir faire la bonne chose au bon moment, selon ce qui s'affiche à l'écran : droite-gauche avec le stick ; marteler A ; ZR+ZL en même temps ; maintenir le stick vers le bas le temps qu'une tasse de thé se remplisse, etc.

Une fois qu'on a bouclé un cycle, on encaisse les gains et on recommence. On investit ses thunes dans du matériel améliorant nos stats de plongée ou l'attractivité de notre restaurant, on s'adapte aux événements nouveaux qui s'imposent à nous, aux défis ponctuels, etc. Ça n'arrête pas, ça se renouvelle souvent, on a toujours quelque chose de plus à faire... En cela, la formule est vraiment bien rodée, et celle-ci coulisse d'autant mieux qu'elle s'accompagne toujours de cette narration faite de personnages bons-enfants, d'esthétique chatoyante et de notes d'humour bien senties.

Et franchement, sur ce point-là, je trouve qu'il y a là encore un véritable savoir-faire face auquel il est difficile de rester insensible. Moi par exemple, ces posts de Bancho, le cuisinier austère, qui révèlent son incapacité à coller à l'esprit excessivement jovial des réseaux sociaux, j'avoue que c'est le genre de détails dont je me délecte. Même chose quand il s'agit de capter quelques mimiques amusantes jouées par ces petits personnages pixelisés... Ah ça ! Il n'y a pas à redire, ce Dave the Diver sait y faire pour nous garder dans sa poche...


Cependant, il y a quand même une vérité que ce jeu peine à cacher sur la longueur, et cette vérité, c'est celle du jeu, justement.

D'un point de vue ludique, Dave the Diver, ce n'est quand même pas bien folichon. Comme dit plus haut, les tâches accomplies restent simplistes et surtout, malgré la multiplication d'événements nouveaux, tout devient rapidement répétitif. Plonger encore et encore. Penser à gérer les nouvelles missions mais sans oublier de continuer à assurer les anciennes pour achalander le restaurant : continuer à choper du poisson, couper des algues, ouvrir des marmites perdues dans les fonds marins sous peine de quoi notre restaurant va perdre en gamme. C'est usant. On n'en voit pas le bout. L'effet de surcharge de tâches à gérer qui est censé être l'enjeu de la partie devient très vite une plaie à la longue, à tel point qu'on en vient forcément à se demander pourquoi on s'inflige ça et quelle en est, au fond, la finalité.


En ce qui me concerne, il n'a pas fallu attendre longtemps pour que je comprenne que j'allais me heurter à une grosse limite concernant ce jeu. C'est survenu lors d'un moment fort révélateur : le age au chapitre 2.

... « Chapitre 2 » ?

Attendez, ça fait déjà une bonne demi-douzaine d'heures que je joue et je n'ai bouclé qu'un seul chapitre ? « Mais il y en a combien de chapitre dans ce jeu ? » me suis-je alors demandé ?

Après une recherche rapide sur Internet, le couperet est tombé : sept. Sept putain de chapitres au total pour boucler l'histoire principale. 25 heures au bas mot d'après ces sites qui, par rapport à mes pratiques, sous-évaluent toujours clairement les durées de vie.

J'étais déjà gavé à la fin du chapitre 1 et voilà que j'apprends que je dois encore m'en cogner six ?!

Hors de question...


Et voilà, au fond, comment on en revient, de manière pour le moins saugrenue, à cette histoire d'éloge de l'oisiveté. Parce qu'au bout du compte, on n'était plutôt bien sur cette plage à bavasser et à profiter du décor et de l'atmosphère.

Au fond, le jeu n'a pas apporté grand chose à part une agitation qui s'est très rapidement muée en aliénation.

Alors certes, c'est vrai, tout ça reste au final bien able du fait de cet enrobage feel good fort sympathique et qui, en temps de vaches maigres, pourrait me faire poursuivre l'aventure jusqu'au bout. Néanmoins, force est de constater que le gros point faible de ce jeu, c'est le jeu. Or, ça, ça pose vraiment un grand souci. Ce n'est clairement pas un problème d'exécution, mais clairement un problème de conception, pour ne pas dire carrément un problème de vision ; un problème lié à la manière d'envisager le jeu vidéo.


L'ironie de toute cette histoire c'est que, derrière ses allures de petit jeu indé, Dave the Diver n'en demeure pas moins un petit œuf pondu par un très gros poisson, en l'occurrence le sud-Coréen Nexon. Et, au fond, ça se sent.

Parce qu'à bien le considérer, Dave the Diverpue la philosophie d'un Triple A, du début jusqu'à la fin.

À la manière d'un Assassin's Creed, on enchaîne les pêches au harpon de la même manière qu'on enchaine les combats dans les jeux d'Ubi : tout est assisté, lissé, scripté, à tel point que la seule chose qui nous masque le caractère ultra basique de nos actions, c'est une esthétique léchée et une histoire prenante.

Au fond, Dave the Diver a juste remplacé les graphismes spectaculaires par une gentille bouillie de pixels, mais au final, le fond reste le même. On a délaissé le jeu au profit d'autre chose, et même si ça peut avoir des vertus « pas prise de tête » ça n'en reste pas moins un ouvrage qui, ludiquement, nous bourre le mou avec des mécaniques pas très folichonnes sur des heures et des heures.


Jusqu'au bout, cette allégorie du pêcheur sur la plage dira quelque chose de ce Dave the Diver. Elle nous dira à quel point la grosse industrie semble avoir définitivement perdu de vue une essence du jeu, quand bien leurs efforts et leurs savoir-faire reste réels...

Donc désolé Nexon : votre jeu il est bien sympa, c'est vrai, mais entre votre mignonne entreprise et un vrai jeu indé, moi je préfère encore les expériences plus exigeantes bien que bien moins rodées, plutôt que votre bar à sushis qui fabrique des aliénés...

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le 15 mai 2025

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lhomme-grenouille

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