Imaginez : c'est un samedi pluvieux où vous êtes sorti acheter la demi-douzaine de livres nécessaires à ce que votre année de fac se e bien. Dans la librairie où vous êtes entré, un panneau, impossible à rater tant il est omniprésent, vous annonce en lettres capitales un événement qui vous fait oublier jusqu'au cours que vous deviez préparer : on a retrouvé un document inédit de Lovecraft, ce maître de l'épouvante dont les cauchemars d'encre et de papier vous ont tenu éveillé des nuits durant. Vous vous précipitez vers le rayonnage SF/Fantastique, laissant tomber vos manuels, et parvenez à arracher un exemplaire. Vous n'en revenez pas : le livre est énorme, environs quatre cent pages d'un même récit! Vous emmenez le livre chez vous, fermez tous les volets et vous plongez la tête la première dans le roman. Quatre cent pages de Lovecraft ! Le premier chapitre raconte la préparation d'un groupe d'aventuriers, alcooliques et toxicomanes, pour une expédition dans une mystérieuse structure. Le deuxième aussi. Le troisième aussi. Les chapitre quatre, cinq et six font de même. Sceptique, vous feuilletez rapidement, pour vous apercevoir avec horreur que tous les chapitres ne sont qu'une longue et inutile préparation à l'horreur lovecraftienne. Quatre cent pages de gens qui tournent en rond, de factures à payer, de nourriture à acheter. Quatre cent pages de matériel collecté, de ventes aux enchères de breloques, avec quelques combats prévisibles et répétitifs. Vous êtes dégoûté. Pourtant le titre, Darkest Dungeon, promettait tant...
Si Lovecraft n'a jamais écrit de roman, c'est sans doute parce que son genre littéraire s'y prête très mal. Après tout, on lit un roman d'horreur pour l'horreur et si celle-ci traîne à apparaître, on se met immanquablement à s'ennuyer et à sauter des pages entières pour voir enfin le monstre. Malheureusement, Darkest Dungeon n'est pas un roman : impossible d'en er les différentes étapes pour voir la fin. Celles-ci sont néanmoins remarquables par l'ambiance claustrophobe et stressante qu'elles parviennent à créer. Quoique l'on sache en fin de compte très peu de l'histoire de notre ancêtre, cela suffit : un village délabré qu'il faut reconstruire, une horreur cosmique qu'il faut bannir, des expériences qui ont mal tourné et qu'il faut corriger, que demande le peuple? Alors on améliore sa base, ses héros, on tente de les arracher aux vices que leurs esprits fragiles ont immanquablement développés à force de monstruosités. On tient une liste des dépenses et l'on se met à rêver : il faudrait que j'améliore ma forge, ce qui me permettrait de donner à Bertrand sa capacité supérieure, procurant à mon groupe de meilleures chances de survie. On se sent enquêteur, préparé au pire, sans cesse sur la corde raide de l'esprit qui menace de rompre à tout instant.
Et puis, il y a les runs. Vous savez, ces donjons que l'on parcourt encore et encore, afin de collecter du loot qui servira à préparer la prochaine run. Stressantes, certes. Terrifiantes, un peu. Intéressantes de par le système de combat et l'originalité des monstres, sans doute. Mais à côté de ça, tellement répétitives! Et bien sûr plus le temps e, plus les améliorations coûtent chères et plus il faut faire de runs pour espérer avoir sa forge niveau 4 ou son chevalier avec une compétence à plein potentiel. Attendez-vous à devoir er presque quatre heures, montre en main, pour chaque nouvelle construction dans le hameau.
Cependant, si tout ceci était linéaire et difficile, si l'on échouait toujours à cause de ses propres erreurs, la pilule erait encore. Mais à cela, il faut encore ajouter le facteur chance, car à chaque nouvelle run, les donjons sont générés aléatoirement. Imaginez encore : vous venez de er dix heures à équiper, entraîner et soignez vos quatre croisés que vous envoyez détruire un canon. Vous connaissez le jeu par cœur maintenant, vous êtes tranquilles. Mais au détour d'un couloir, le boss apparaît. Vous êtes aussi surpris que vos héros, vous n'avez pas eu le temps de les préparer. Pure manque de chance. Alors vous essayez de faire un semblant de formation et vous attaquez le servant. L'ordinateur lance un dé pour savoir s'il touche : raté. Le coup de feu résonne dans la nuit, tuant un croisé sur le coup. Le deuxième tombe sur un coup critique d'un bandit, pas de bol. Vous essayez de fuir. Nouveau lancé de dé. Nouvel échec. Un troisième tir met à terre un autre de vos héros. Et à chaque fois, c'est plusieurs heures de travail qui partent en fumée. Qu'il faudra refaire. Juste parce qu'on a brisé un miroir ce matin...
En fin de compte, Darkest Dungeon est un hommage plus qu'un vrai jeu. Sans véritable originalité, il a au moins le mérite de parvenir à nous maintenir sous pression constante et de nous récompenser, parfois, pour nos efforts en nous donnant un sentiment de progression....dont il espace de plus en plus les doses pour nous garder accrocs. On me dira que ce n'est pas un World of Warcraft, parce qu'on y a mit du lancé de dé et des hommages à Lovecraft. J'aurais aimé que ce ne soit pas le cas, mais...