Winchester 73 marque le premier chapitre d’une collaboration fructueuse entre Anthony Mann et James Stewart : le comédien sera l’un des plus brillants interprètes du cinéaste, à même de restituer la complexité de ses personnages, souvent hantés par un é et en proie à des accès de violence difficilement répressibles.
Ce western joue avec brio la carte de la tragédie. Les deux ennemis, réunis à la faveur d’une coïncidence dans un concours de tir, se ressemblent trop pour que leur haine soit commune, et eront la majeure partie de l’intrigue à se poursuivre. Entre temps, le récit s’attachera à suivre le parcours de l’arme éponyme, symbole du prestige et de la perfection, et qui era de mains en mains, l’occasion de portraits croisés des différentes figures de l’ouest, du cowboy aux hors-la-loi en ant par l’indien.
L’univers est sombre, souvent nocturne, et la grandeur du personnage principal ne peut se fonder sans zones d’ombre. C’est ici la densité qui prime, et pour l’exprimer, le visage de Stewart, et plus particulièrement son regard, sont des alliés essentiels. Son caractère torturé reste toujours en toile de fond, et offre des accès de violence d’une rare intensité, alors que Mann offre au spectateur ce qu’il est en droit d’attendre face à un western : cavalcades, fusillades, attaques d’indiens, dans une gestion superbe des espaces, notamment grâce à un travelling on ne peut plus fordien aboutissant sur une crête où se tiennent les apaches.
La réussite du film tient dans l’alliance de deux classicismes : celui, d’abord, du genre, où rien ne manque au cahier des charges, et où la galerie de personnages secondaires compose un portrait parfait de l’Ouest ; celui, ensuite, plus littéraire et séculaire, de la tragédie, par les évolutions de la relation entre le héros et son ennemi.
La révélation tardive sur leur lien, en forme de twist, permet un véritable coup de sang dans l’intrigue. Frères ennemis liés à jamais par le meurtre du père, le récit rétrospectif permet une relecture habile de la symbolique pesante sur le concours de tir initial, et ces cibles impeccablement criblées par les deux rivaux.
Le duel final prend ainsi une résonance particulière quant à ses enjeux, et se trouvera d’autant plus magnifié par sa maîtrise formelle : dans des roches qui annoncent le final brutal de L’homme de l’Ouest et prouvent la prééminence du paysage chez Mann, la lutte se conduit avec un parti pris esthétique singulier. Dans la majorité des plans, le cadrage permet de voir les deux combattants, pourtant fortement éloignés, dans une union fratricide superbe de panache et de dramatisation.
Le fil conducteur du récit aura été plus qu’un symbole : quête des personnages, objet de convoitise, figure du progrès de l’ingénierie et du savoir-faire humain, la Winchester 73 reste avant tout une arme.