Avec Une part manquante, Guillaume Senez livre un film poignant sur la paternité, la séparation et l’espoir ténu d’une reconnection. Porté par un Romain Duris d’une justesse rare, ce drame intime nous plonge dans les rues vibrantes de Tokyo, où un père français, privé de la garde de sa fille depuis neuf ans, s’accroche à un dernier espoir avant de repartir en .
Dès les premières minutes, le film nous embarque dans la routine nocturne de Jay, chauffeur de taxi à Tokyo. Son visage fatigué, ses regards perdus dans le vide, ses gestes mécaniques racontent une histoire sans mots : celle d’un homme brisé, mais incapable d’abandonner complètement. Jay sillonne la ville, non pas pour fuir, mais pour chercher – même s’il sait que sa quête est vouée à l’échec. Jusqu’au jour où, par un incroyable coup du destin, Lily, sa fille, entre dans son taxi.
Guillaume Senez filme cette rencontre avec une pudeur bouleversante. Il ne tombe jamais dans le mélo facile, préférant capturer les silences, les hésitations et la fragilité des retrouvailles. Comment parler après tant d’années ? Comment rattraper le temps perdu en une course de taxi ? Le film ne cherche pas à répondre brutalement à ces questions, mais les laisse résonner en nous, longtemps après le générique.
Romain Duris livre ici l’une de ses plus belles performances. Loin de ses rôles de charmeur ou d’électron libre, il incarne un homme usé, rongé par le manque et la culpabilité. Son jeu repose sur des détails subtils : un regard fuyant, une voix qui se brise à peine, un sourire timide, comme s’il n’osait plus y croire. Face à lui, la jeune Mei Cirne-Masuki est une révélation. Son Lily n’est ni dans le rejet brutal ni dans l’acceptation immédiate. Elle oscille entre méfiance, curiosité et une envie, presque inconsciente, de comprendre qui est cet homme qu’elle ne connaît pas mais dont elle porte le sang.
Judith Chemla, qui joue la mère de Lily, apporte une autre dimension au récit. Sans jamais être diabolisée, son personnage incarne les dilemmes d’une mère qui a dû faire des choix douloureux dans un pays où la garde exclusive était la norme jusqu’à récemment. Le film ne juge pas, il observe, et c’est en cela qu’il est si puissant.
La mise en scène de Guillaume Senez est d’une grande délicatesse. Plutôt que d’insister sur les dialogues, il laisse parler les images : Tokyo de nuit, ses néons, ses rues humides après la pluie, ses visages anonymes croisés derrière les vitres du taxi. La ville devient un personnage à part entière, écrasante et indifférente, reflet du combat intérieur de Jay.
La photographie est soignée, jouant sur les contrastes entre les lumières artificielles et l’obscurité des ruelles. La bande-son, discrète, accompagne avec justesse cette errance, oscillant entre mélancolie et espoir ténu.
Une part manquante n’est pas un film qui cherche à donner des réponses toutes faites. Il parle de paternité, de filiation, de ces liens invisibles mais indestructibles qui survivent au temps et à la distance. Il questionne aussi les différences culturelles et les injustices d’un système qui prive certains parents de leurs enfants.