« Je crois que c'est les injustes qui dorment le mieux, parce qu'ils s'en foutent, alors que les justes ne peuvent pas fermer l’œil et se font du mauvais sang pour tout. Autrement ils seraient pas justes. » ~ Romain Gary, La vie devant soi.
C'est avec toute ma maladresse et tout mon cœur que je rédigerai cette critique, la seconde pour un film. Dans un hoquet embarrassé, un peu gauche, je n'ai pas trouvé mieux que de citer Romain Gary pour introduire clairement mes intentions dans ce qui suivra.
Par curiosité ce matin je me suis lancée dans la lecture des avis sur Taxi Téhéran ; je suis ébahie, ahurie, médusée devant la rudesse de certaines critiques (pas toutes, ne me sermonnez pas), devrais-je même dire leur brutalité, leur insensibilité, leur colère, incompréhensible colère.
Pour un film sublime, prodiguant des frissons de bonheur, un film spectaculaire, exaltant, éblouissant, avec une mise en scène théâtrale très minutieuse, qui fera rechercher tous les superlatifs possibles et imaginables, qu'on repose Taxi Téhéran et se dirige plutôt vers un film coréen, par exemple. Dans Taxi Téhéran, le splendide est hors de propos. La vie est montrée telle qu'elle est, vue d'un endroit neutre, avec un conducteur qui sourit plus qu'il ne parle. On rit beaucoup, dès la première scène, avec ce charlot incongru qui hèle le véhicule, puis, avec cette femme qui hurle de douleur avec autant de burlesque que l'épouse de l'aubergiste Yoine Shagal dans le Bal des vampires, ensuite avec ces deux vieilles rombières qui confondraient vie et poissons rouges, des clowns. Et ce nain qui sue, iratif devant le réalisateur ; malicieux, il n'est pas dupe, un film est en train d'être tourné ! Le petit homme traficote des DVD comme certains bicravent en Occident, c'est un « service culturel », ajoute-t-il.
Seulement, quand vient la nièce de Jafar Panah, fini, le cirque des adultes. A la manière des enfants, de celle de Momo dans la Vie devant soi (« Moi ce qui m'a toujours paru bizarre, c'est que les larmes ont été prévues au programme. Ça veut dire qu'on a été prévu pour pleurer. Il fallait y penser. Il y a pas un constructeur qui se respecte qui aurait fait ça. »), la petite fille balaie tous les symboles délicats multipliés par son oncle pour critiquer et dénoncer la situation en Iran. Aussi élégants soient-ils, leur faiblesse est immense face au discours naïf d'un enfant (et Dieu sait qu'elle parle, c't'môme.)
Quant au narcissisme de Jafar Panah, il me semble bien que l'invoquer soit un peu fort de café. Si vous croisiez un réalisateur dans un taxi, la stupeur ée, ne le flatteriez-vous pas sur son art, pour lequel il a été cruellement condamné dans votre pays commun ? Ne le complimenteriez-vous pas sur son travail, qu'il réalise, après tout, pour que votre sort s'améliore ? N'est-ce pas vraisemblable ? Cette évidence mise à part, il me semble en outre bien injuste de condamner l'ensemble du film pour ce détail, à mes yeux tout à fait légitime, on l'aura compris.
Souvent je me fais la réflexion de n'être pas objective et me remets en question. Une de mes meilleures amies vient d'Iran et je connais la souf lovée dans ses yeux, dissimulée par la bonté de son regard et la délicatesse de son sourire. Éternelle étrangère en qu'elle habite pourtant depuis plus de dix ans, je sais l'indifférence qu'elle subit, « parce que son accent est bizarre, parce qu'elle s'habille différemment, parce que sa peau est plus jaune, parce que son nom est effrayant, parce que là-bas, ce sont des fous ». Peut-être est-ce parce que je l'aime que Taxi Téhéran m'a touchée ? Peut-être est-ce parce que je suis une femme que le sort des femmes me bouleverse ? Peut-être est-ce parce qu'on dit des femmes qu'elles ont « l'instinct maternel » que je suis troublée face à l'ingénuité d'un enfant ? Peut-être est-ce parce que je suis désemparée face à la souf que je ris ? Peut-être est-ce parce que je ne suis pas parfaite dans ma façon de m'exprimer que la maladresse des autres dans leur franchise m'émeut ?
Khoda hafez.