Incroyablement romanesque et (un peu trop?) foisonnant, cet époustouflant "Rois et Reine" explose littéralement de l'ambition de prendre à bras-le-corps les étapes les plus douloureuses d'une expérience humaine, et en premier lieu la mort de ceux que l'on aime,... et que l'on assassine. Entre Bergman et le roman photo, Desplechin n'hésite pas, il choisit les deux : son film est une souf, mais aussi une joie. Explorant crânement des formes "à l'américaine", Desplechin rompt avec les filiations linéaires pour se placer sous une enseigne glorieusement bâtarde, et sort finalement par le haut du traditionnel cinéma d'auteur à la Française. Mais "Rois et Reine" ne serait pas une œuvre aussi charnelle, à la fois cruelle et sereine, sans la grâce inouïe de ses interprètes : on le savait déjà, mais Amalric et Devos sont de la race des plus grands !: Soulignons aussi que "Rois et Reine" est un film aussi brillant techniquement (narration complexe et extraordinairement riche dans le jeu naturel des échos, correspondances, ruptures de ton, superbe montage aux faux-raccords godardiens, la liste est longue...) qu'émotionnellement éprouvant : on se souviendra longtemps des frasques allumées d'Ismaël et de son avocat camé jusqu'aux yeux dans l'hôpital psychiatrique, ou du braquage repoussé de l'épicerie familiale de Roubaix (deux grands moments de burlesque qui renvoient au meilleur cinéma US), mais on n'oubliera jamais la brûlure infligée par la terrible adresse d'un père mort à sa fille haïe (un Maurice Garrel incandescent qui nous offre ce que le meilleur du cinéma d'auteur français peut offrir, une absolue cruauté et nudité des sentiments les plus extrêmes). [Critique écrite en 2004 et revue en 2005]