Princesse Mononoké
8.4
Princesse Mononoké

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1997)

Hurler avec les loups

Mon erreur, en commençant ce film, a été de croire que Miyazaki avait atteint le sommet de son art avec Le Château dans le Ciel. Mais ce qui fait la constitution d'un artiste dont le talent va au-delà de toute exception, c'est qu'il est toujours capable de nous surprendre. Mon péché est d'avoir cru que je verrais un bon film: "bon" est une insulte à ce cinéaste. Il n'existe aucun mot, dans aucune langue, qui ne puisse représenter l'étendue de son génie.


Je suis une fanatique sans objectivité, m'opposera-t-on en voyant mes notes: 7/10 minimum pour ses films - à ce jour du moins, mais je ne pense pas devoir un jour mettre en-dessous. Ma vénération ne vient pas du fait que cet auteur a fait une pépite qui m'a touché le cœur, ni deux, ni trois. TOUTES. TOUTES ses créations m'ont happée. Je le sais, je le ressens, je le crie de toutes mes tripes: Miyazaki est le maître qui trône au sommet de l'animation. Les mots me manquent, mais je ne demeurerais pas dans un silence iratif. Autant qu'il me l'est possible, je répèterai ce fait. Chaque jour qui e, je m'agenouille devant un portrait de lui et vénère sa personne.


Princesse Mononoké raconte l'histoire d'un prince Emishi, Ashitaka, qui vit reclus avec son clan condamné à l’extinction: les siens étant attaqués par un dieu (kami) devenu démon, il le tuera pour les protéger, mais est ainsi atteint d'une malédiction qui le condamne à mort. Son voyage en quête d'une solution le conduit à rencontrer la Princesse Mononoké, ainsi que d'autres personnages, et à assister à la lutte entre les dieux de la forêt, les hommes des Forges, et les armées de l'Empereur.

La valeur d'Ashitaka? Porter sur le monde un "regard sans haine". Il a des convictions le monsieur, et préfère parlementer plutôt que se battre. Ça, c'est le principe. Plus d'une fois, son périple le mettra face à ses contradictions. Notamment lors du duel entre la princesse Mononoké et dame Eboshi, où il s'imposera par la violence. Ashitaka, parfait? Il en est l'opposé. Néanmoins, dans la scène où son bras s'anime seul pour tenter de tuer la dame, j'y vois un effet de la malédiction et la revanche de Nago, pas une quelconque manifestation de sa haine personnelle.

Car dans ce film, l'ambiguïté est voulue - et présente. Chacun a du bien et du mal: San et la tribu des loups veulent protéger la forêt, et sont prêts à tuer pour ça. Eboshi recherche la destruction de la forêt, mais pas par objectif bête et méchant qui rendrait le message écologique caricatural: elle ne veut rien de plus que la récolte du fer qui rendra ses Forges prospères. Forges qui d'ailleurs, abritent d'anciennes prostituées qu'elle a recueillies et qui lui vouent le respect le plus absolu: Eboshi n'est pas là pour être détestée du spectateur.


Miyazaki, en maître de son chef-d’œuvre, sait ce qu'il fait et comment attiser l'attention de son public. La princesse Mononoké met 20 minutes à se montrer, encore plus pour parler.

La violence est présente, en quantité limitée, et le fait que ce soit de l'animation atténue l'effet. Pas ça qui empêche certains ages d'être intenses. La scène du dieu-cerf qui aspire la vie de Moro et Okkoto est terrible. Combien de fois l'ai-je vue? À chacune je crois la redécouvrir, la puissance m'empêche de détourner le regard de l'écran, je suis figée et subjuguée tandis qu'il lui suffit d'un toucher pour faire s'effondrer les deux divinités...

Et la chute des Kodamas! Eux si amusants, si joueurs, ils paraissaient inaccessibles dans leur capacité à se rendre invisible et leur nombre. Les voir lentement dégringoler en même temps que la forêt se flétrit a eu sur moi un effet incommensurable. La musique n'y est pas pour rien.

Elle vient sublimer l'ensemble du film, et son absence occasionnelle rend d'autant plus puissants certains moments, notamment la première fois qu'on voit le visage de la forme diurne du dieu-cerf.


Princesse Mononoké, c'est aussi une fabuleuse histoire d'amour. L'amour des habitants des Forges à Eboshi. De San à Ashitaka. D'Ashitaka à San. De Moro à sa tribu. De San à sa mère et ses frères. Ici, l'amour n'est pas expliqué par un narrateur mais démontré à chaque seconde. On le voit quand les femmes des Forges s'inquiètent pour Eboshi, ou quand San enfile le collier qu'Ashitaka lui donne.

Je m'attarde sur cette tradition de Miyazaki, de mettre en figures principales un garçon et une fille qui viennent à s'aimer au fil de leurs aventures. Nos deux héros ici présents en sont le parfait exemple. La scène où elle le nourrit en mâchant la nourriture puis en lui mettant directement dans la bouche écrase toutes les scènes de baiser des Disney à la con. San a de quoi renvoyer les princesses se recoucher chez leur prince charmant la queue entre les pattes. Aux petites filles qui regardent Cendrillon ou Blanche-Neige, je leur désigne une histoire d'amour pertinente. Miyazaki a compris que l'amour ne doit pas être dit par une bague ou une grande déclaration. Ashitaka qui serre San dans ses bras au moment où ils rendent sa tête au dieu-cerf, c'est l'amour. Au moment où elle sourit car il dit qu'il se sent mieux, c'est l'amour. Pourtant, aucun des deux ne se détournera de son objectif au nom de l'autre. San ira au combat et Ashitaka préfèrera retrouver Dame Eboshi en priorité pour aider les femmes des forges, et se préoccupera de sa belle une fois sa mission accomplie.


La religion de Miyazaki est le shintoïsme, qui a marqué de sa patte de nombreuses scènes du film. Je me penche plus particulièrement sur ce qui entoure le dieu-cerf. En lui-même, il est éloigné des habituelles croyances shintoïstes, mais le symbole et la vie et de la mort qui l'entoure y est relié. Quel être les représente mieux que lui? Sur ses pas, les plantes poussent puis se flétrissent aussitôt. Son souffle pourrit le tamagushi (nom donné par la culture shintoïste aux plantes coupées qui servent d'offrande) déposé par San, et sa fureur détruira les forges, mais il est aussi le protecteur de la forêt et il guérit Ashitaka de la blessure de la balle. Son regard seul couvre de plantes l'arquebuse d'Eboshi.

L'idée de tsumi repose sur le concept de mauvais. Le tsumi entraîne le tatari: une malédiction. Okkoto et Nago ont été atteints du tatari, d'où leur transformation en démon, à cause de la haine et de la douleur qui les consumaient. Ashitaka lui-même en souffre: son tsumi a été de tuer Nago. Moro aussi, et volontairement: elle se colle à Okkoto, qui lui transmet ainsi la malédiction, afin de récupérer San. San elle-même n'a pas demandé à être atteinte par le tatari, les évènements la conduiront donc à être purifiée dans la rivière par Ashitaka, et elle ne mourra pas. Le dieu-cerf accorde la mort et la vie, et purifiera les dieux souillés par un baiser et un regard.

Je précise que ce paragraphe est issu de mes recherches personnelles, qui sont peut-être faussées à cause mon absence de culture réelle sur le shintoïsme.

Quant au terme de "Mononoké", il mérite l'attention: parfaitement intraduisible en français, mes fouilles m'ont laissée perplexe sur sa signification. "Mononoké hime", la "princesse Mononoké", pourrait signifier tout bêtement "princesse des démons/mauvais esprits/esprits étranges", mais je trouve plus lyrique la "princesse des choses devenues mauvaises". Ce serait en accord avec l'idée de tatari évoquée plus tôt. Un autre article me dit qu'elle est la "princesse de la frontière entre les démons et les esprits". Dans tous les cas, ça a un côté mystique.


J'ai une analyse extrêmement personnelle de la lutte intérieure de San: est-elle louve ou humaine? Moro dit qu'elle n'est ni l'un ni l'autre, Ashitaka l'affirme humaine, San elle-même se proclame louve. Pour moi, et ce n'est que mon interprétation: elle e de l'un à l'autre. Le changement se produit toujours au même point: la rivière qui traverse la forêt.

Quand Ashitaka la rencontre, il est séparé d'elle par la rivière. À ce moment, elle est présentée comme sauvage et forte: sans hésiter, elle colle sa bouche à la blessure de Moro pour récupérer puis recracher le sang sali par la balle. Cette scène sublime deviendra l'affiche du film. Elle est intouchable, et la fille de Moro: une louve, qu'Ashitaka ne peut que regarder depuis sa propre berge, celle des humains.

Plus tard, et de son propre gré, elle entre dans l'eau qui entoure le territoire du dieu-cerf. Koroku le dira lui-même: "On entre dans l'autre monde." (traduction non officielle). Elle ne le fera pas pour n'importe quelle raison: sauver Ashitaka. Un humain. À ce moment, elle ne renonce par encore à son statut de louve, mais traverse l'eau aux côtés d'un homme, contrairement à précédemment où ils étaient chacun de leur côté.

La traversée décisive, ce sera quand Ashitaka la plongera pour la purifier de la souillure du tsumi, j'en suis convaincue. Elle doit devenir humaine pour échapper au tatari: on voit bien que précédemment, les vers l'avaient contaminée et surgissaient de peau. Abandonner son côté louve, trancher son lien avec la forêt, était le moyen le plus brutal de la sauver. D'ailleurs, à ce moment, il l'ôte de la gueule de Moro... Ashitaka dira à Jiko-bo, en parlant de la tête du dieu-cerf: "C'est un humain qui doit la lui rendre.", et sans protester, elle la saisira dans ses mains pour d'un même mouvement, ils puissent la tendre en direction du corps immense.

Ce qu'elle a perdu, elle le retrouvera. Lors de sa dernière apparition, elle a ret ses frères loups, et se dirige avec eux vers leur territoire. Elle va donc nécessairement traverser la rivière, nous ne le verrons donc pas. Mais nous le savons. La princesse Mononoké a fait le choix d'hurler avec les loups.


Au départ, Princesse Mononoké ne devait pas ressembler à ça. Un samouraï se retrouvait contraint de marier sa fille à un monstre: finalement loin d'être un terrible démon, il se révèle gentil. Les fiancés s'engagent dans une quête afin de délivrer le paternel d'un esprit maléfique qui a pris possession de lui. Jugé trop sombre pour un film pour enfants, quand le cinéaste présentera de nouveau le projet plus tard, La Belle et la Bête était sorti entre-temps: trop semblables, il le modifiera totalement, jusqu'à arriver au résultat que nous connaissons.


À voir absolument. Si c'est déjà fait, alors... recommencez! Son intensité ébranle, son lyrisme séduit, sa beauté fascine. J'affirme sans hésiter qu'il s'agit d'un des meilleurs films d'animation que j'ai jamais vu.

10
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Créée

le 16 janv. 2024

Modifiée

le 1 févr. 2024

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Alioth6

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