Jerry Schatzberg, après Portrait d’une femme déchue, œuvre marquée par un formalisme intense, change radicalement de style pour une approche naturaliste des milieux interlopes d’un New York qui n’existe plus aujourd’hui, magnifié en son temps par Scorsese à ses débuts.
Le récit, très linaire, s’organise selon une logique perverse : le spectateur commence par s’attacher aux protagonistes, pauvres paumés du quartier de Needle Park, nommé ainsi pour sa concentration élevée de junkies, et dans lequel est sur le point de sévir la panique en question, à savoir la pénurie de drogue. Le regard intense d’Helen, la fantaisie de Bobby (qui est une annonce de celle du personnage qu’interprétera Pacino dans le film suivant de Schatzberg, l’Epouvantail, Palme d’Or 1973), tout contribue à la mise en place d’un couple attachant. En pleine possession de ses moyens, Al Pacino dans son deuxième film éclate d’assurance : personne ne mange des frites comme lui, avec cette morgue et ce regard circulaire de défi sur le monde.
Très vite, pourtant, le quotidien de l’addiction prend le dessus. Dans une esthétique très proche du documentaire, le réalisateur joue la carte de l’anti glamour. Ce film est, sur ce sujet, l’opposé de Trainspotting ou Requiem for a Dream : pas de musique, pas de lyrisme, pas de didactisme non plus : le quotidien et la déchéance progressive ont valeur de démonstration. Les acteurs se donnent corps et âme et se délitent lentement dans une histoire d’amour décapée par les injections, où les renoncements et les compromissions détruisent lentement tout le réconfort et le soutien qu’est censé s’apporter un couple.
Entre prison et prostitution, c’est lorsqu’ils touchent le fond que le récit instaure des plages de répit d’une rare cruauté, qui donnent l’illusion d’un retour possible à la sérénité des débuts : Helen se faisant belle pour aller voir des amis de la famille (à qui elle va soutirer de l’argent en couchant avec le plus jeune), une incursion à la campagne où l’on achète un chien… on est très proche de l’univers de Zola et de ces chapitres où le récit, semblant se déployer en faveur des personnages, ne fait en réalité qu’entériner leur descente aux enfers.
Elliptique, âpre, au risque d’un certain détachement du spectateur à qui on inflige autant de scènes de couple que d’injections ou de préparation méthodique de la poudre, le film fusionne justement ces deux histoires de façon absolument inextricable. En contrepoint d’une déclaration d’amour et de fidélité, l’image s’attarde sur un autre personnage présent dans la pièce, en plein shoot ; la demande en mariage, pathétique, ne peut que désoler. Mais ce couple ne semble pouvoir se résoudre à la séparation, en dépit des trahisons et des déchirements, rivés l’un à l’autre, la main sur la seringue, elle-même fichée dans le bras de l’être aimé, dans un chant amoureux dépourvu de toute mélodie.