C’est parti d’un tweet. Un extrait du film d’une poignée de secondes accompagné d’un hashtag et la messe était dite. Il fallait à tout prix supprimer le film, supprimer sa réalisatrice, supprimer Netflix, supprimer le cinéma. La « Cancel Culture » avait encore frappé, l’effet de meute qui s’en suivit entrainant son flot de violence envers Maïmouna Doucouré.
280 caractères et 99 secondes de vidéo sont-ils vraiment suffisants à enterrer un film ? Est-il encore possible de débattre après une telle vague aveugle et sourde ? Aveugle, parce que ses détracteurs n’ont pour la plupart pas vu le film, sourde parce qu’ils n’ont pas la moindre compréhension basique de la culture des pays d’Afrique de l’Ouest.
La grande hypocrisie du puritanisme américain
J’ai récemment fait une virée à travers les teen movies américains cultes, de Mean Girls à Clueless, en ant par Heathers, Pump up the Volume et Dazed and Confused. Outre leur relatif manque d’originalité narrative (celle de filles populaires méchantes qui façonnent à leur médiocrité une fille plus naïve), ces films des années 80-90 ont un autre point commun. Tous ces films n’utilisent que des acteurs de 30 ans au torse poilu pour jouer des gamins de 4e. Du coup, les connotations et tensions sexuelles débordantes (aussi fortes, voire encore plus que dans Mignonnes) ent tranquillement et on peut continuer à se voiler la face.
Si le film est autant décrié aux USA, c’est qu’il tape là où ça fait mal. Le puritanisme américain est le plus gros acte de mauvaise foi, alors que leurs horribles concours de beauté continuent de commencer dès le berceau.
Les Misérables
Et si pourtant le film le plus décrié de l’année était le plus intéressant sociologiquement ? Il y avait La Vie Scolaire et Les Misérables l’année ée, Mignonnes est une nouvelle plongée dans un milieu oublié et difficile. Il reflète de vrais problèmes, il est très fort ancré dans le réel. Pour une fois, les dialogues des enfants ne semblent pas écrits par des scripts en manque d’idées et en pleine crise de la quarantaine. Tout semble naturel, très juste, très rarement surjoué (la blonde cabotine un petit peu) malgré les personnages extravagants
Naissance des pieuvres
Mignonnes arrive en peu de temps à brasser avec beaucoup de justesse et de profondeur un nombre de sujets impressionnants. On navigue entre l’influence des clips musicaux, les fausses idées sur la sexualité, l’imagination infantile débordante, les dangers des réseaux sociaux, la tyrannie du physique de magasines, la pression du groupe, la violence de la puberté sur le corps et l’esprit.
Tout ça en confrontant violemment les traditions sénégalaises à la modernité occidentale, en réussissant à trouver l’équilibre parfait entre hommage et remise en question.
Tout ça en agrémentant le film de plans remplis de poésie (notamment le tout dernier et celui de l’affiche), plans qui rappelle souvent la jeunesse qui s’ennuie et s’impatiente des films de Sofia Coppola (que ce soit Virgin Suicides ou The Bling Ring, on retrouve les deux ambiances).
Mignonnes fascine par son naturel, par sa modernité, par son courage face à la violence de son sujet. Doucouré porte son sujet à bras le corps, n’arrondissant jamais les angles, ne détournant jamais les yeux face au tabou de l’hypersexualisation des jeunes. Parce qu’en parler est le seul moyen d’avancer. Et si le film remue autant d’acharnements, c’est bien la preuve que le problème est présent.
Le malaise grandissant qui s’installe chez le spectateur face à cette jeune fille qui découvre ce que c’est d’être une femme, ne signifie pas que le film est problématique. Le malaise grandissant est au contraire la preuve qu’il est réussi.