MaXXXine
6.2
MaXXXine

Film de Ti West (2024)

Tout ça pour ça. Un projet de trilogie, semblait-il, impeccablement maîtrisé. Deux premiers films d'horreur puissants, X et Pearl, à la fois indépendants et complémentaires. Un cinéaste, Ti West, talentueux, ionné, et soutenu par l'aura des (presque) toujours très ambitieux A24. Tout ça pour aboutir à MaXXXine, qui cristallise tout ce qui m'épuise et me navre dans le cinéma hollywoodien contemporain. J'enrage, je ne comprends pas. Comment a-t-on pu er de X et Pearl à ce truc ? Quelle force obscure a donc infiltré l'équipe artistique ? De quelle(s) substance(s) s'est gavé West en pondant un scénario pareil ? Ce film, c'est un peu le "Joker : Folie à deux" de la trilogie de Mia Goth. Il n'y a rien qui va dedans, mais en diagnostiquer les nombreuses maladies est d'autant plus intéressant que ses prédécesseurs en étaient épargnés. Peut-être que dans dix ans, vingt ans, on aura trouvé un nom pour cette espèce de grippe aviaire du politiquement correct cinématographique. Pardonnez-moi, mais quel meilleur nom donner à ce qui a tout d'un phénomène épidémique, que ce soit par ses causes ou ses effets : une montagne de films soudainement interchangeables, tous subitement habités par le même discours, tous subitement obsédés par l'idée de faire er les mêmes idées, et tous absolument, intégralement décidés à le faire en recourant à des techniques de mise en scène et d'écriture si bêtement manipulatrices, si ouvertement à l'aise avec l'idée de prendre leur public pour des cons finis à l'urine de cheval, qu'on croirait voir s'animer sous nos yeux ébahis un authentique tract de propagande soviétique des années 1930. "On va t'apprendre à penser, coco !" Merci, Ti West, vraiment ; mais non merci.


X, Pearl : deux films d'horreur que j'ai donc aimés, beaucoup aimés même, notamment pour leur capacité à développer un discours féministe pertinent et impactant. La meilleure façon de défendre une cause, au cinéma, a été, est, et sera, d'écrire des personnages forts. En écrivant cela, j'ai l'impression de soulever une évidence, le genre de constat tellement évident que personne ne se serait donné la peine de l'émettre à peine dix, quinze ans en arrière. Mais il faut le dire, le redire, parce que MaXXXine, tout d'un coup et comme beaucoup de ses copains, a décidé qu'il n'en avait plus rien à fiche, de ses personnages ; peut-être, que pour une fin de trilogie, il fallait mettre le paquet, arrêter de prendre des pincettes et remplir ce qui était, au fond, la mission première de l'entreprise : éduquer. Ce sera la première grande maladie qui frappe ce film, son péché le plus terrible et irrécupérable : MaXXXine ne veut pas te sensibiliser, il veut t'éduquer. Un module e-learning, un de plus, sur les grandes causes qu'il faut défendre, coco ; tes résultats seront transmis au département des ressources humaines. Du coup, il n'y a plus vraiment de personnages, dans MaXXXine ; au mieux, des archétypes, des reflets à peine texturés (et pourtant étrangement volatiles, confus) de ce que le cahier des charges de l'audiovisuel hollywoodien progressiste a pu imposer à l'écran de façon croissante ces dernières années. En théorie, je m'en moquerais volontiers, mais voilà, ce film conclut une trilogie que j'avais, jusque-là, chéri, notamment pour son refus courageux de céder à certaines techniques de manipulation que j'évite désormais comme la peste. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive cette année, mais j'ai donc l'impression de me faire prendre en traître, de me faire faire la leçon par un prof ennuyeux (et à l'idéologie douteuse) quand j'étais venu regarder, en fait, un film, qui me laisserait réfléchir par moi-même sans m'enfoncer dans le gosier des idées préconçues.


Premier délitement, première incohérence manifeste de MaXXXine : c'est donc un film animé, comme ses prédécesseurs X et Pearl, par un propos politique. Mais, contrairement à ces derniers, il choisit de faire er son message non à travers sa narration, mais par le biais d'un stabilotage bien gras de sa propre grille de lecture du monde. Comme pas mal de ses confrères récents, tous poussés par Hollywood et atteints de cet inquiétant syndrome dégénératif, on a donc là un film se targuant de tenir un discours moderne et progressiste, antisexiste, antiraciste, anti-ilmenresteunpeujevouslemetsquandmême, qui (ironie qu'apparemment il s'agirait de ne pas percevoir) choisit pour cela d'être le plus sexiste et raciste possible, par des formes dites vertueuses ; et le plus drôle dans tout ça, non pas dans un but de dénonciation, non pas dans une posture créative, mais simplement dans le but de corriger une réalité selon un compas moral prédéfini, évoluant à la marge de toute considération artistique ; de montrer ce qu'on voudrait voir réel, dans une vision du monde simultanément candide et conséquentialiste. En d'autres termes, MaXXXine fait de ses années 80 une peinture morale d'une certaine réalité rêvée, "qui aurait dû être". Dès lors : tous les hommes sont des connards, sauf les Noirs et les homosexuels. Toutes les femmes sont fortes, indépendantes et courageuses, et dans leur bon droit même quand elles tuent. Il ne s'agit pas de prouver ces choses-là, de les illustrer dans le comportement des personnages ou de l'évolution du scénario ; mais, simplement, de les considérer comme des vérités acquises, scientifiquement irréfutables, sur lesquelles bâtir les fondations de l'histoire. J'aimerais vraiment que ce soit une caricature du propos du film, mais il n'en est rien. Sa construction dramatique, la façon dont les personnages sont introduits, se comportent, parlent, commettent leurs diverses exactions que le film prend explicitement soin de condamner ou d'exc... tout est échafaudé dans le but qu'on arrive à ces conclusions, et surtout sans avoir produit le moindre effort de réflexion, car il ne s'agirait surtout pas que cette vérité reste inaccessible, surtout pas aux plus simplets d'entre nous. Tu vois, fiston, dans la vie, y a les méchants, et les gentils. Toi comprendre ?


Deuxième délitement, qui commence à rendre le film sérieusement haïssable et potentiellement dangereux en sa qualité de divertissement (ce qui le rapproche d'autant plus d'une forme de propagande à distinguer d'une véritable œuvre d'art) : MaXXXine est également animé par un besoin maladif de révisionnisme historique. X et Pearl étaient aussi des "films d'époque", dont le charme, et la pertinence du propos, reposaient en partie sur leur reconstitution d'un temps révolu mais pas tant que ça non plus, encore habité par un patriarcat cruel et oppresseur. C'étaient des films qui se déroulaient dans le é, mais qui troublaient intelligemment le spectateur par certains points communs avec notre présent, nous permettant d'autant plus d'embrasser la cause du (des) personnage(s) de Mia Goth, de nous faire réfléchir en terminant le film sur la toxicité du male gaze. Avec MaXXXine, Ti West fait pourtant un grand écart idéologique faramineux, à l'opposé total de ses deux précédentes réalisations. Car si la reconstitution historique (cette fois-ci, des années 80) est effectivement conservée, les personnages sont en revanche écrits avec une plume leur prêtant des personnalités, des rapports de domination sociale, et des caractères, qui sont ceux voulus par la morale dominante actuelle et non par la réalité de l'époque.


Ce choix "artistique" qui tranche radicalement avec X et Pearl, s'apparente à mes yeux à une forme de déni d'histoire au double effet kiss cool. Déjà, en tant que spectateur ayant grandi dans les années 80, on est quand même bien pris pour un imbécile : la qualité de la reconstitution technique, très impressionnante, prouve bien que ce choix est totalement conscient, et imposé par une équipe artistique qui a les idées très claires dans ses remaniements sélectifs. C'est, ni plus ni moins, un acte de censure. En résulte une totale fausseté des codes sociaux, écrits avec cette plume pseudo-inclusive très post-2020s, donnant cette impression de se faire faire la leçon par des gens "pensant mieux" (la Правда, quoi)... aboutissant à une absence totale de crédibilité du récit. Ensuite, cette façon de réécrire l'histoire en remplaçant ladite réalité sociale de l'époque par celle qu'on voudrait "morale" ou "vertueuse" (il ne s'agit, au fond, que de cela, et c'est sans doute le plus terrifiant : l'annulation de ce qui est déplaisant, la moralisation désormais quasi-systématique de l'art audiovisuel contemporain par la torsion de la réalité ou, à tout le moins, de sa propre crédibilité) est totalement insensée du point de vue du message. Si on veut lutter contre le male gaze, c'est qu'il existe. Si on veut lutter contre les violences faites aux femmes, c'est qu'elles sont présentes, de tous temps et encore plus dans notre histoire récente. Si on veut lutter contre le patriarcat, c'est que ses ravages sont réels. Pourquoi alors MaXXXine essaye-t-il de gommer ces réalités ? Pourquoi fait-il comme si ces choses-là, subitement, n'avaient plus vraiment existé ? Le film ne peut pas à la fois dénoncer des maux sociaux et nier leur propre existence. Il ne peut pas engager le spectateur dans une réflexion en lui prémâchant un message. Rien de tout ça n'est possible, rien de tout ça n'est bon, rien de tout ça n'est souhaitable. Intellectuellement, philosophiquement, MaXXXine est une plongée dans l'abîme, un déni ferme du pouvoir du cinéma comme moyen de réflexion, et, inversement, une glorification du pouvoir des images comme outil de propagande idéologique, de correction de l'indésirable. Un avatar vivant de la cancel culture, une ôde à la pensée obtuse, quand X et Pearl réussissaient à poser les bonnes questions sans livrer de réponse clé en main.


Ainsi, troisième délitement, donc : à force d'insister sur le message, on ne sait plus ce qu'on veut raconter. Plus rien n'a de sens. X et Pearl racontaient une histoire ; le message venait s'y greffer. MaXXXine, lui, veut d'abord faire er un message en adaptant le scénario pour qu'il soit conforme à ses idées (encore une fois, désolé d'insister, mais c'est la bonne vieille technique de bureau de pensée stalinien qui prouve qu'on est là moins face à un film qu'à un outil de transmission idéologique). Le massacre est intégral. L'héroïne n'a déjà aucune personnalité concrète, ballotée pour les besoins du scénario entre envie de vengeance (on sait pas trop de quoi), envie d'être célèbre (on sait pas trop pourquoi) et résurgence du é de X par le biais d'inserts d'extraits du premier film (mais du coup, c'est quel personnage... ?) Tour à tour trop douce, trop violente ou trop apeurée, Maxine n'a plus la cohérence de ses "versions" précédentes, plus solidement campées, et progressant de façon plus crédible au fil du récit. Elle n'est ici plus que le réceptacle des causes que le film essaye de défendre ou de dénoncer, sans réelle logique de rythme ni de progression ; son personnage est terriblement froid, théorique (et théoriquement branlant). Autour d'elle, un aréopage de personnages fonctions sans aspérité, dont la seule identité de genre ou de race annonce le rôle dans le récit : les grands Kevin Bacon et Bobby Cannavale ont des troisièmes rôles absolument minables (je n'arrive même pas à comprendre comment ils ont pu accepter de tels personnages, si pauvres, si caricaturaux, si profondément inutiles). Et même les femmes, très unidimensionnelles dans leurs rôles préécrits selon la moraline de l'époque, sont étrangement apathiques, dont Michelle Monaghan et Elisabeth Debicki, qui semblent juste là pour expliquer (au sens le plus littéral, puisque Debicki a un très long monologue ressemblant à un cours magistral) le propos du film. Quant aux arcs narratifs, qui semblent inspirés d'un format sériel, ils se multiplient jusqu'à la confusion, chacun associé à un aspect de la morale que le film veut faire er : la partie sur la réalisation du film parle d'opression patriarcale, la partie sur le tueur en série parle de misogynie, la partie sur la secte parle de puritanisme... mais rien ne s'emboîte, car rien n'a été fait pour s'emboîter. Ce sont justes des objectifs pédagogiques traités les uns après les autres, une espèce de Powerpoint universitaire grand luxe, partial et orienté.


Des critiques ont comparé MaXXXine à "Once Upon a Time in Hollywood", de Tarantino. Il y a du vrai là-dedans, je pense. Mais de la même manière que comparer MaXXXine à X et Pearl permet de comprendre exactement en quoi c'est un (très) mauvais film, le comparer au film de Tarantino permet aussi de comprendre partout où il échoue : dans les infidélités ciblées de sa reconstitution historique, dans son obsession de tout ramener à son message, dans sa volonté fébrile d'éduquer son public en lui évitant tout risque de mauvaise interprétation, dans ses dialogues terriblement fonctionnels et artificiels, MaXXXine, au contraire de "Once Upon a Time..." est un film profondément dévitalisé, robotique, prisonnier de ses petits slogans néo-progressistes bien sympathiques vus de loin, nettement plus questionnables vu de près, qu'il ne sait comment agiter au visage du spectateur, comme si, quelque part, il avait conscience de ses propres tentatives d'enfumage. Pour rester d'ailleurs dans la comparaison avec l'écurie Tarantino, MaXXXine m'a un peu évoqué une version affreusement censurée et abêtie des pourtant turbo-féministes films grindhouse Boulevard de la Mort et Planète Terreur (Mia Goth a un peu le look de Rose McGowan dans ce dernier) ; mais eux étaient de bons, voire très bons films, qui, à propos comparable, articulaient leur art.

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le 10 avr. 2025

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Seb C.

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