Premier opus de la Trilogie marseillaise de Pagnol, Marius restera toujours mon préféré. C'est dans cette première partie (d'abord envisagée par Pagnol dans son unicité puisque Fanny et César sont des fruits du succès de Marius) que ce savant mélange entre comédie et mélodrame, dont peu d'auteurs/réalisateurs ont le secret, me semble le mieux équilibré.
Alors que la pièce fait un tabac dans les théâtres parisiens depuis 1929, pour la première fois, une oeuvre de Pagnol est adaptée au cinéma, cette fois par Alexander Korda, mais toujours sous la houlette de l'auteur provençal. L'heure était aux premiers balbutiements du cinéma parlant, et l'arrivée de Marius en salle est accompagnée d'un enthousiasme éclatant.
Commençons par l'évident : les dialogues sont brillants car ils sont infiniment drôles et absolument authentiques. On rit de voir les habitudes, le lifestyle méridional de cette palette de personnages hauts en couleur qui ne manquent pas une occasion de se chatouiller par le verbe, de s'invectiver pour plaisanter... On rit de voir l'immense Raimu dans le rôle de César se plaindre du travail de son fils, regretter la famille de son temps, quand il y avait encore "du respect et de la tendresse", d'être spectateurs privilégiés de cette partie de manille au rythme suspicieusement lent, ponctuée du désormais classique :
Écoutez, M. Brun, si on peut pas tricher entre amis, c'est pas la peine de jouer aux cartes alors !...
Mais au delà de ça, de nombreux enjeux mis en exergue au fil des échanges et de l'intrigue déent les critères d'une simple comédie. Les personnages sont confrontés à la vie et à ses dilemmes. Marius est tiraillé entre son envie d'aventures et son amour pour Fanny et cela donne lieu à des scènes d'une émotion foudroyante où Fanny fait preuve d'un grand courage et aide Marius à accomplir ce rêve d'ailleurs, de façon presque sacrificielle. La force tragique de l'oeuvre trouve même son accomplissement dans cette scène finale bouleversante où César décrit à Fanny l'avenir radieux qui l'attend, et que Fanny se contente d'aquiescer face à ce bonheur imaginaire, qu'elle sait déjà compromis...
Puis, les personnages centraux sont formidables et incarnés par des comédiens plus qu'impeccables. Le duo Marius-César est explosif et d'une authenticité remarquable. L'affection qu'ils se portent, la complicité dont ils font preuve nous les rend terriblement sympathiques. Et la force de cette affection mutuelle, agrémentée de joutes verbales et confrontations toutes plus envolées que les autres, n'a d'égale que sa pudeur...
- Papa ? Je t'aime bien tu sais.
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Je t'aime bien.
- Bah moi aussi... Pourquoi me dis-tu ça?
- Je sais pas. Je vois que tu t'occupes de moi et.. que tu te fais du souci à cause de moi et alors.. ça me fait penser que je t'aime bien..
Magnifique scène qui nous laisse voir aussi l'immense talent de Raimu, loin de se limiter à sa maîtrise du bagout méridional (autre point fort, il faut le dire), qui est ici d'une intériorité et d'une intensité immenses (https://www.youtube.com/watch?v=8RnPY37r0NE&t=222s)...
Et puis tu sais ? Des fois je dis que tu m'empoisonnes l'existence, mais c'est pas vrai...
Alors oui, Orane Demazis écorche l'accent marseillais, Pierre Fresnay est alsacien et Raimu de Toulon... Mais ils excellent quand même (tout comme Charpin, Rouffe, ou encore Dullac...), et alors on a aucun mal à pardonner ces embryons de défauts qui pourraient être attribués à l'ensemble.
Marius est universel. Le film et les interprétations subliment le texte de Pagnol. Le résultat est jouissif, bouleversant et indémodable.