Une dame va déposer un chèque à la banque. Cependant, il y a un problème : sa signature est rigoureusement identique à celle d’un autre client. D’abord étonnés, les personnages vont ensuite se faire la réflexion que deux personnes peuvent bien avoir la même signature, comme ils peuvent avoir la même voix, le même visage, voir la même vie.
Cette scène nous livre un élément clef du film : les deux protagonistes sont des doubles. Cela se retranscrit d’abord dans leurs prénoms : Moràn et Romàn, anagrammes l’un de l’autre. De même, ils sont tous les deux employés de la même banque et vont se retrouver complice de braquage. Ils vont également tomber amoureux et coucher avec la même femme. Mais cette notion de double met un point d’honneur à ne pas être uniquement narrative mais aussi formelle. En effet, le film nous présente plusieurs transitions en volet, qui s’immobilisent à mi-chemin pour former un split-screen, nous montrant un personnage assis dans sa cellule, l’autre dans la chambre de son hôtel, et les deux allumant une cigarette au même moment.
Mais l’intérêt du film est loin de se résumer à cette seule dualité, son approche des genres est par exemple des plus intéressante. En effet, le film va également glisser sur les genres, sans jamais en embrasser un : l’on croit tantôt qu’il va sombrer dans les codes du film de braquage, puis de la comédie, puis du film social, puis du film carcéral, puis de la romance, mais non, Rodrigo Moreno glisse sur les genres, nous livrant un film dérivant calmement, nous offrant une expérience de visionnage des plus apaisantes. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec beaucoup de films sud-coréens ant d’un genre à l’autre en plongeant dans les codes de chaque genre, là où Los Delincuentes e d’un genre à l’autre sans jamais en embrasser les codes.
La psychologie des personnages est également intéressante sur deux points. Tout d’abord, les personnages vont constamment planifier. Ils vont par exemple planifier d’arrêter de fumer et de se marier avec Norma, mais aucune de leurs planifications n’aboutira. Seule demeure la fin. Cette fois-ci ils ne planifient pas, ils agissent en silence.
Le second élément important de leur psychologie réside dans la raison du braquage. Le but de Moràn n’est en effet pas de devenir riche. Il lui reste 25 ans à travailler dans une banque, et il choisit de voler ce qu’il gagnerait en termes de salaire, afin de pouvoir vivre ces 25 années au même niveau de vie, mais sans travailler, déclarant qu’il préfère er 3 ans et demi en prison que 25 ans dans une banque. La démarche du braquage est donc indissociable d’un rejet du salariat (et de la ville, les personnages souhaitant s’exiler à la campagne). Et je ne peux m’empêcher de faire un lien entre ce rejet du salariat et l’histoire économique pour le moins compliquée de l’Argentine au cours de ces dernières décennies.
Rodrigo Moreno nous livre donc un film sobre, mais riche thématiquement et extrêmement apaisant.