C'est le dernier film réalisé par Jacques Becker qui décédera quelque temps avant sa sortie.
Comme le titre ne l'indique qu'aux initiés, il s'agit d'un film de prison qui évoque les minutieux préparatifs d'une évasion.
Le scénario s'inspire du premier roman de José Giovanni qui a lui-même contribué au scénario et aux dialogues. Mais sur bien des détails, roman et film diffèrent à commencer par les noms de la plupart des personnages. Je dirais d'ailleurs que le film transcende le roman en lui donnant un aspect d'épure. Les personnages du roman deviennent des archétypes dont on ne considérera pas nécessaire d'entrer dans le détail des personnages sauf nécessité.
Un exemple pour étayer mon propos, dans le roman, la cellule est déjà constituée d'éléments hétéroclites dont il ne viendrait à personne d'aller questionner les codétenus sur leur é tandis que le film introduira un nouveau détenu (Gaspard) que les détenus de la cellule vont faire er sur le grill pour savoir ce qu'il a dans le ventre et connaître le niveau de confiance qu'ils peuvent lui accorder.
A priori, on peut considérer ceci comme une nuance mais en fait, cela provoque un sérieux effet de boost sur les personnages et sur l'ambiance de la cellule dans le film (au détriment de la vraisemblance, peut-être). Dans le roman, on "fait" avec les codétenus présents dans la cellule parce qu'on n'a pas le choix même si on n'est pas très convaincus de leur fiabilité. Ce n'est pas un problème en soi, c'est au contraire une réalité. C'est la vie, quoi. Dans le film, on oppose clairement deux types de taulards, ceux qui n'ont plus grand-chose à perdre car chargés d'un lourd é (qu'on ne connait pas et dont on n'a pas à se préoccuper) et ceux qui ne sont pas du même bord même si la faute incriminée (crime ionnel, préméditation, intérêt sous-jacent) peut conduire aussi à une lourde peine. Le film va ainsi montrer une certaine forme de solidarité (confiance) entre les premiers et une suspicion larvée qui ne demandera qu'à ressortir à la première occasion face aux deuxièmes.
L'effet scénaristique est évident. Le film va impliquer le spectateur dans un jugement (négatif) a priori. Déjà, les préparatifs et l'organisation de l'évasion sont tout-à-fait fascinants à suivre dans un suspense haletant qu'on découvre peu à peu. Mais cette différence de traitement des personnages du film va encore accroître l'intérêt du spectateur quant à la réussite ou non de cette opération.
Livre comme film montre une vision très réaliste de ce huis-clos, cette fois dans l'établissement considéré comme un îlot au milieu du vaste monde. On y découvre des relations de subordination claires matons-détenus mais aussi certaines relations de vraie ou fausse connivence entre matons et détenus. Comme cette superbe scène concernant les plombiers venus réparer un robinet dans la cellule.
Quand je revois cet excellent film "les évadés" de Darabont, je repense toujours à cette scène des plombiers qui me parait hautement vraisemblable. Comment serait-il possible que matons et détenus puissent se côtoyer pendant de très longues années sans que s'installe un minimum de respect mutuel ?
Un mot sur l'organisateur du plan d'évasion interprété par Jean Keraudy dont c'est le seul rôle au cinéma. Ancien taulard lui-même et ayant contribué à un plan d'évasion en 1947 avec José Giovanni, je le trouve particulièrement crédible dans son rôle. C'est aussi l'homme qui en pré-générique s'extrait de sa 2CV qu'il est en train de bricoler pour lancer un bref hommage au réalisateur récemment décédé.
Michel Constantin dans son premier rôle d'envergure. Il entame ici sa brillante carrière d'éternel teigneux… ou encore Philippe Leroy-Beaulieu dans le rôle présupposé du personnage de José Giovanni lui-même
En conclusion, film d'une grande efficacité qui parvient à rendre ionnant ce huis-clos d'une cellule d'hommes prisonniers déterminés à retrouver une liberté coûte que coûte.
Je me surprends toujours à avoir é deux heures grosso-modo à regarder un groupe d'hommes juste casser des cailloux tels des forçats et à, en plus, en éprouver une certaine empathie. On est pas loin du chef d'œuvre …