L'hiver se meurt, la neige fond, la nature ressort un peu, le cadre de Le Mal n'existe pas est posé dès les premières minutes, Ryusuke Hamaguchi se sépare du cadre urbain qui le suivait jusque-là et place ses personnages dans un village japonais entouré d'une forêt et rivière.
Le Mal n'existe pas est le genre de film qui te poursuit une fois la séance finie, on ne e pas forcément de suite à autre chose, et c'est sa première force. Il hante grâce à son atmosphère, son fond.
On pourrait dire qu'il est divisé en plusieurs parties, j'en compte trois, qui se répondent, où les personnages évoluent au sein d'un même cadre. Tout est important d'ailleurs, il joue avec l'harmonie, tant dans le fond que la forme.
Dans le fond, l'harmonie est d'abord dans le quotidien du village, et plus précisément de l'homme à tout faire, puis la tentative d'une harmonie entre le village et l'entreprise urbaine cherchant à installer un glamping au milieu de cette campagne. L'harmonie de la forme, c'est entre l'image et le son (parfaite musique signée Eiko Ishibashi, mais aussi les bruits naturels (celui de l'eau évidemment, ou du vent), la façon dont Hamaguchi implique la nature dans son récit.
Loin du bruit des grandes villes, c'est donc l'espace des campagnes, sa méditation ou... ses coups de fusils qui impactent le nouveau terrain d'Hamaguchi. Pourtant, ça reste un film sur l'humain, dont le titre est très juste, qu'est ce que le mal, selon quel point de vue, et à quel point notre propre communauté (famille, village, pays ou égoïstement juste soi-même) reste le plus important et au dessus de tout. C'est aussi un film sur le souvenir, la mélancolie, des êtres qui traînent comme des fantômes sans forcément les apercevoir.
Le film impose des ruptures et changement de ton, en particulière dans sa dernière partie, où brutalement le calme et l'apaisement sont mis de côté. La tension monte, les différents éléments perdent le contrôle et tout semble s'accélérer en très peu de temps. C'est fort, on est happé, et Hamaguchi pose des questions sans réponse, ou du moins juste en laissant quelques éléments par-ci par-là que l'on peut interpréter à notre façon.
Le rapport entre la campagne et la ville est bien mis en avant, notamment en mettant en avant une activité comme le glamping qui parait très superficiel, en particulier lorsque les prometteurs la présentent aux habitants du village. Les personnages sont forts, sans avoir besoin de nous en dire beaucoup, et si le rapport peu parfois être caricatural dans le clivage ville/campagne, c'est ici un point relégué au second plan.
Le cinéaste prend son temps pour bien mettre en avant les personnages et thématiques, l'enracinement dans la campagne, symbolisé par la séquence du wasabi, est inscrit dans l'atmosphère du film. Il suit les gestes des personnages, rien n'est tronqué, l'ouverture du film et la façon dont il va chercher l'eau puis l'emmène en est le parfait exemple. Il montre, en une scène, la patience, le savoir-faire et l'osmose avec la nature. La réunion publique est un exemple parfait du clivage, dans ce qui compte pour chaque partie, et l'implantation difficile pour une activité qui va apporter bruit et dérèglement.
Le Mal n'existe pas nous entraîne, dans un cadre forestier et naturel, dans un conte où Ryusuke Hamaguchi traite de l'humain, du clivage entre la ville et la campagne, ainsi que des souvenirs, de ce qu'on trouve lorsqu'on revient sur ses pas et de ce qu'on souhaite protéger en priorité. Un grand film, tant dans le fond que dans la forme.