Les choses simples

Si Kurosawa est un maître de l’image, privilégiant le mouvement, l’action, les somptueux décors et les costumes, avec un art du grandiose, Ozu, lui, peaufine les dialogues, explore le couple, la famille et son intimité, dans des intérieurs sobres et minimalistes.

Or, c’est de cette simplicité, qui est d’abord modestie et humilité, valeurs éminemment nationales, qu’il est question dans Le goût du riz au thé vert : en partageant avec sa femme le plat donnant son titre au film, Satake cherche à démontrer à celle qui joue les précieuses et abuse du pathos l'importance des choses simples et authentiques dans les relations humaines, en particulier dans le mariage, défendant ainsi une vision modeste mais profonde de l’amour conjugal fondé sur la compréhension mutuelle, la sincérité et les petits gestes quotidiens.

La réflexion sur le mariage à travers le couple formé par Satake et Taeko, dont la relation est marquée par une routine sans ion, met en lumière d’un côté la désillusion, les difficultés de compréhension mutuelle et de communication, la nécessité fondamentale d'une intimité dans le mariage, et d’un autre côté, évitant ainsi tout constat pessimiste, elle démontre comment l’amour peut renaître non pas à travers de grandes déclarations, mais par un retour à la simplicité, comme le fait de partager un repas ordinaire.

Bien que Taeko, l’épouse, y paraisse excessive, injuste et ingrate avec son mari, immoralement menteuse, Ozu la comprend. Il nous la présente comme une victime du changement d’époque, tiraillée qu’elle est entre tradition et modernité, entre les valeurs traditionnelles du mariage arrangé, du devoir et de la discrétion, et la jeunesse moderne, plus libre, influencée par l’Occident, qui rejette les conventions, s’intéresse à la condition féminine et éprouve des aspirations à plus de liberté, le film étant comme un reflet du Japon d’après-guerre, où les modèles sociaux changent, où l’urbanisation, l’occidentalisation et la montée de l’individualisme modifient les repères traditionnels.

Enfin, Ozu y déploie une réflexion qui lui est chère, secondaire dans le film mais subtile et intelligente, sur le mensonge et la vérité. Mentir est-il irréversiblement contre la morale ? Ou n’est-il pas parfois nécessaire, pour la survie du couple, de bâtir un espace personnel où une existence plus libre, détachée de l’autre, puisse s’épanouir ? Mentir est-il donc forcément tromper l’autre et enfreindre les règles du mariage, ou plutôt ouvrir une porte sur l’individu qui permet de mieux revenir à l’autre ? Enfin, le mensonge est-il définitivement condamné à le rester, ou peut-il franchir la frontière et devenir la vérité, par la force persuasive de la pensée ?

Le Goût du riz au thé vert transmet une vision humaniste et mélancolique du mariage, où l’amour véritable se manifeste non dans les éclats, mais dans la routine partagée. Il célèbre les valeurs japonaises traditionnelles — humilité, respect, constance — tout en soulignant les tensions provoquées par la modernisation rapide du pays.

7,5/10

7
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le 17 mai 2025

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Marlon_B

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