L'impossible Monsieur Ridley

Commençons cette critique par une évidence: Ridley Scott est un auteur. Qu'on adhère ou pas au propos de ses films, on ne peut nier que le cinéaste anglais fait preuve de cohérence avec lui-même. Le problème est que sa vision prend souvent le pas sur l'intérêt premier de l'intrigue. Si on prend l'exemple de son plus grand travail, que dis-je de son chef-d'œuvre, "Blade Runner", on se rend compte que Scott est totalement é à coté de son sujet (ce qui est encore plus flagrant dans les making of), à savoir le "jeu des doubles" cher à Philip K. Dick dans sa nouvelle "les androïdes rêvent-t-il de moutons électriques" en préférant questionner la possibilité que les réplicants aient des émotions. On ait ainsi d'un récit métaphysique qui questionnait le caractère unique de l'humain remis en doute par la possibilité d'être remplacé par une version améliorée et sans faille de lui-même, bref la problématique du simulacre, à une romance humain/robot sur fond de messianisme.

Pourquoi rappeler tout ça? Ben, parce qu'à y regarder de prêt, Scott n'a jamais vraiment changé sa façon de faire, en ce compris ses films plus récents. C'était le cas dans "Robin Hood", qui tournait plus au film politique médiéval, avec ses complots à la cour d'Angleterre censés déboucher sur la création de la Magna Carta, qu'à l'exploration des motivations qui amènent un détrousseur à se faire redresseur de tort... Et c'est pareil pour ce "dernier duel" qui aurait dû être le récit des ressorts juridiques ayant conduit la royauté française à interdire la pratique du corps-à-corps sous l'égide de Dieu. D'autant que le thème semblait parfait pour Scott, étant donné sa croisade personnelle contre la religion entamée depuis maintenant des années, de même que son caractère misanthropique et désabusé, sans oublier son obsession eschatologique. Oui, mais le cinéma de Scott, c'est aussi la démonstration d'un féminisme sans aucune subtilité.

Comme si le public était trop bête pour capter le message évident du film, il faut multiplier les points de vue. Quitte à ce que cela devienne redondant, les trois regards s'avérant finalement un seul et unique. A aucun moment le film ne prend le risque de varier l'interprétation des évènements, ce qui finit par se retourner contre lui. Est-ce par peur qu'on se méprenne de ses intentions? Ou le point résolument pessimiste de son cinéaste à l'égard du genre humain qui l'empêche seulement d'ettre la possibilité d'une réelle mésinterprétation? Probablement un peu des deux. Evidemment, l'engagement est louable, mais cela dessert totalement le film, qui s'embourbe dans ce qu'il veut montrer, au point que les pièces ne parviennent pas à s'imbriquer les unes dans les autres pour arriver à un message cohérent. Message qui aurait dû être qu'une société figée amène à banaliser des comportements toxiques. Or, pour que cela fonctionne, il aurait soit fallu éviter de montrer le point de vue de Le Gris, soit enjoliver son segment, quitte à montrer une version "romantique" des évènements, avant que celle de Marguerite ne déconstruise un scénario fantasmé par le regard masculin. Certains se serait sûrement offusqués, cependant Scott aurait vraiment gagner à cre l'ambiguïté dans un premier temps. Que ce soit par la mise en scène ou en insérant au travers des échanges entre Le Gris et Marguerite des phrases pouvant être interprétées comme des allusions à double sens par l'écuyer... Qui plus est, on aurait aussi pu étudier les motifs liés à des arguments politiques, ou à des écarts de conduite liés à une méconnaissance de la bienséance... Eh bien, que nenni. Finalement, on retiendra que tous les hommes sont idiots et la société sexiste, point barre.

En clair, un film aux velléités louables mais gangrénées par une piètre exécution.

6
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le 24 mai 2024

Modifiée

le 24 mai 2024

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Aegus

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