After the gold crush.

La longue file des aspirants à la fortune qui serpente dans la glace en ouverture du film semble à bien des égards figurer, a posteriori, celle des foules qui se pressent à la projection du prodige Chaplin pour l’un de ses films les plus célèbres.


L’adversité est ici nouvelle : à la difficulté de s’insérer dans la ville succède ici un terrain plus aventureux, celui des rigueurs de l’Alaska. Le froid et la faim vont donc nourrir la dynamique d’un bon nombre de situations qui auront pour cadre principal une maison, unité de lieu fantastique qui va permettre toutes les déclinaisons comiques. Une pièce, trois portes, mille possibilités : le vent entre et sort, les habitants se pourchassent, aliénés par la faim, et l’on finit par faire tanguer le sol lui-même dans un numéro célébrissime de funambulisme sur une falaise.


Chaplin au faite de son inventivité ne se lasse pas de maitriser chaque détail : le moindre de ses pas fait l’objet d’une écriture chorégraphique, et le gage initial de la chaussure à manger occasionne une séquence d’un raffinement hors norme, où l’on déguste des lacets comme des spaghettis ou des clous comme les os les plus fins d’un poulet de choix.

La deuxième partie confronte un peu plus le vagabond au monde, et lui fait subir les affres de l’amour, cruel car il révèle son insignifiance et sa transparence, indispensable car il lui donne des ailes, notamment dans l’hilarante séquence durant laquelle il met à sac son intérieur d’enthousiasme irrépressible.


A l’aise avec son corps comme avec n’importe quel accessoire, capable de mimer la raideur du gelé pour susciter la pitié, c’est dans la séquence culte de la danse des petits pains qu’il atteint le sommet de son art : chef d’œuvre absolu de maitrise et de raffinement, il faut observer, en plus de la grâce des mouvements, la façon dont son visage habité accompagne cette chorégraphie unique. Indéable, on retrouve dans cette scène la quintessence du génie de Chaplin.


Alors que, une fois n’est pas coutume, le vagabond finit par faire fortune et quitter ce lieu austère, la pirouette qui permet une fin plus heureuse explicite bien la poétique chaplinesque : les retrouvailles avec son amour s’affranchissent de toute réussite sociale. C’est bien déguisé en vagabond, et pris pour un clandestin, qu’elle lui avoue son amour, permettant un final qui n’écorne pas la figure désormais inaltérable du clochard céleste.


De l’or, il ne reste pas grand-chose, à peine un cigare qu’on aura tôt fait de remplacer par un mégot trouvé au sol. Les pépites sont ailleurs : dans les yeux des spectateurs.

9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes J'ai un alibi : j'accompagnais les enfants.

Créée

le 19 févr. 2015

Critique lue 2K fois

70 j'aime

10 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2K fois

70
10

D'autres avis sur La Ruée vers l'or

After the gold crush.

La longue file des aspirants à la fortune qui serpente dans la glace en ouverture du film semble à bien des égards figurer, a posteriori, celle des foules qui se pressent à la projection du prodige...

le 19 févr. 2015

70 j'aime

10

Charlie qui claudique

Il claudique Charlie, Charlot, le vagabond solitaire sans-le-sou en équilibre précaire sur la corniche des montagnes enneigées d'Alaska, mais ne tombe pas. Heureux sont les insouciants, les...

Par

le 2 déc. 2014

40 j'aime

10

La Ruée vers l'or
10

L’ordre qui trée

Je n'ai jamais vu quelqu'un aussi bien mêler la tragédie et la comédie que Charlie Chaplin, et à mon sens, La Ruée vers l'Or est son sommet, alors qu'il s'inspire d'une histoire vraie, celle d'une...

le 1 avr. 2014

29 j'aime

3

Du même critique

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord de...

le 6 déc. 2014

778 j'aime

107

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

726 j'aime

55

Her

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

627 j'aime

53