La Mort en direct est un double saut dans l’inconnu pour Tavernier : une expansion à l’international avec la langue anglaise, et une découverte de la science-fiction dans un récit d’anticipation certes modeste en termes d’effets visuels, mais qui lui permet d’aborder les thématiques de l’image, de la représentation et de la morale.
Plus de 20 avant l’avènement de la télé réalité, il adapte le roman de David Guy Compton imaginant un futur proche où une émission de télévision propose à une malade condamnée d’être suivie en continu pour rendre publique son agonie. Face au désistement de celle-ci, on lui envoie un homme qui l’accompagne dans sa fuite, et qui a en réalité des micro-caméras implantées dans les yeux et, permet donc au show d’être diffusé à son insu.
La question du voyeurisme est évidemment un motif particulièrement parlant pour un cinéaste, qui lui aussi traque les sentiments, cadre, découpe et cherche à émouvoir à partir de destinées tragiques. Le travail sur la forme est d’ailleurs particulièrement ostentatoire sur ce film, comme si Tavernier cherchait à dissocier la transmission télévisuelle (grain vidéo, cadre branlant, esthétique d’images volées) de sa maîtrise, à grand renfort de travellings étudiés, parfois jusqu’à la préciosité (cette descente d’escalier vue depuis une balustrade circulaire, par exemple). La photo fait elle aussi l’objet d’un travail soigné, grâce à une belle exploitation des splendeurs brutes de l’Ecosse, divisant le récit en deux entités : d’abord, la ville décatie, sorte de jungle industrielle de rouille, à laquelle s’opposent de superbes paysages lors de la fuite de la deuxième partie. Face à eux, des personnages en perdition, et notamment Romy Schneider, visiblement motivée à l’idée de présenter d’elle une face moins glamour, plus abîmée.
Mais à la manière dont le propos encadré délivre lui-même sa morale, l’image n’est pas une fin en soi, et Tavernier a beau l’opposer à l’obscénité d’une société décadente, tout ce qui relève de l’écriture ou du dialogue s’avère bien laborieux pour l’alimenter. Les personnages ne parviennent pas à exister, toute l’exposition est particulièrement pesante et engoncée dans une neurasthénie qui peine à convaincre. La fuite trompeuse relance un temps l’attention, puisqu’elle crée un lien mensonger dans le duo, et montre de temps à autre le filmeur clandestin confronté à son propre matériau diffusé (à la caisse d’un supermarché, dans un bar…), permettant de dissocier son expérience de ce que les producteurs en gardent. Mais tout semble rester en germe : la question de la mort, celle de la quête de l’image et de sa transmission forcément clivée du réel ou le désir illusoire de liberté ne sont jamais véritablement développés, et l’attitude des personnages reste rivée à une mécanique narrative peu pertinente qui, très ironiquement, semble renvoyer à la satire de l’écriture par algorithme présentée au départ. Le projet ret en somme celui d’un autre cinéaste cinéphile, abordant la même question de l’importance de l’image dans une société futuriste : Jusqu’au bout du monde de Wim Wenders. Curieuse coïncidence que de constater à quel point les deux œuvres auront davantage frustré que convaincu, comme si les enjeux propres à l’image devaient rester à l’état de symboles dans des récits plus réalistes.
(5.5/10)