1998.Le Tour de va partir d'Irlande et Dom Chabol,coureur belge en fin de carrière et en fin de contrat avec son équipe,s'interroge sur son avenir.Ecarté du groupe pour raison tactique,puis repêché,il s'apprête à entamer ce qui pourrait être son dernier Tour.Il n'y avait a priori pas grand-chose à attendre de cette petite coprod Irlando-Belgo-Luxembourgeoise,et pourtant ce film sportif concocté sans grands moyens est d'une belle efficacité.Sa modestie en est d'ailleurs peut-être la raison,cette absence de stars,de figuration,de réalisation spectaculaire et démonstrative contribuant à rendre réaliste ce portrait ramassé d'un coureur de base qui,au-delà du personnage,en dit beaucoup sur le milieu cycliste de l'époque.Car 98 n'est pas une année ordinaire dans l'Histoire de ce sport.C'est là qu'a éclaté le plus grand scandale de dopage qu'aie connu l'épreuve,tout ça parce que Willy Voet,le soigneur de l'équipe Festina,s'est fait gauler par la douane à la frontière franco-belge avec une bagnole pleine de produits illicites,notamment la fameuse EPO,ce qui entraînera l'élimination de tout le groupe avec ses nombreuses stars,les Virenque,Zulle,Dufaux et autres Brochard.Mais il ne faut pas s'imaginer que ces gars étaient les seuls à en prendre,c'était pareil pour tout le peloton,la différence se situant uniquement entre ceux qui se faisaient attraper et les autres.Du reste le vainqueur et le second de 98,Pantani et Ullrich,étaient des dopés notoires comme la plupart des pros,et tout le monde le savait,l'encadrement,les sponsors,les journalistes et même nous,le public,on était au courant,alors la dimension morale du truc,franchement....Du moment que les mecs étaient au taquet et aptes à guerroyer tous les jours sur la bicyclette,que le spectacle était au rendez-vous,personne ne voulait savoir comment ils tenaient le coup et ce qui se ait dans l'arrière-cuisine.Mais le film ne traite pas spécialement du dopage,même si son utilisation est évoquée sans fard à travers ces prises de produits,ces séances de pédalage en pleine nuit pour éviter l'épaississement dangereux du sang ou les contrôles contournés de l'UCI.Le sujet se situe plus dans une description de ce milieu assez fermé et d'une dureté effrayante.C'est déjà dur physiquement,n'allez pas croire qu'il suffit d'être chargé comme une mule pour effectuer le job,il faut être surdoué à l'origine,il faut s'entraîner quotidiennement,il faut observer un régime diététique draconien,tout ça pour des salaires pas si folichons,même les stars de la discipline étant beaucoup moins bien payées que les vedettes d'autres sports comme le foot,le basket ou le tennis.Et Chabol n'est pas un leader,c'est un équipier.Un domestique,un serviteur,un gregario,un porteur de bidons,tous ces qualificatifs dévalorisants destinés à baptiser les anonymes,ceux qui sont là pour imprimer le rythme du peloton,pour emmener les sprinteurs vers la victoire,pour attendre leur leader en cas de coup de mou ou rouler devant dans la montagne avant de s'effacer dans le final.Ceux aussi qui auront du mal à se "recycler" quand ils ne pourront plus rouler à 60 à l'heure.Un cycliste professionnel est généralement un sportif détecté très tôt et très vite pris sous contrat,ce qui implique pas ou peu d'études ou de formation professionnelle.Quand vient l'heure de la retraite ça devient compliqué.Beaucoup essaient de rester dans le milieu,entraîneurs,soigneurs,les plus connus parvenant à décrocher des postes de consultants et de commentateurs dans les médias,les autres devant survivre autrement car la carrière sportive s'achève tôt.C'est à ça que pense Dom.Il ne veut pas arrêter,pédaler est la seule chose qu'il sache faire,et il est prêt à tout sacrifier pour continuer,se shooter en mettant en péril sa santé,materner son leader qui a des crises d'angoisse nocturnes,sécher l'enterrement de son père et même louper son histoire d'amour avec une jolie toubib de l'UCI.Mais voilà,le milieu commence à le snober,son staff cherche à l'écarter de l'équipe,son contrat risque de ne pas être renouvelé et ses offres de services à d'autres groupes ne donnent rien.Dans le film le gars s'en sortira finalement par le haut mais c'est une vision optimiste de la situation et au fond rien n'est vraiment résolu.Le réalisateur et scénariste Kieron J. Walsh restitue parfaitement cette ambiance inquiétante par une mise en scène tenue et ascétique portée par une image froide et minérale et des cadrages rapprochés.Toutes les scènes ont leur utilité et servent de marches à une progression incertaine vers un avenir diffus.Les acteurs sont des inconnus à l'exception de Iain Glen,excellent en soigneur empathique mais désabusé et alcoolo,et Karel Roden,sec et glacial en manager impitoyable.Le héros est incarné par Louis Talpe,sobre,musculeux et remarquablement crédible en coureur tourmenté pris dans une tempête mentale.Il sait rendre le mec sympathique en dépit de la noirceur de son existence.Tara Lee est bien mignonne et sa présence transcende un rôle qui aurait pu être anecdotique.