L'Enlèvement de Michel Houellebecq par Zogarok

Le 16 septembre 2011, une information circule selon laquelle Michel Houellebecq aurait été kidnappé. La rumeur va se maintenir quelques jours et Houellebecq redra le colloque où il est juré comme convenu. Le film de Guillaume Nicloux, réalisé pour la télévision (arte), part de cet événement pour un résultat entre la fiction et le documentaire, où Houellebecq joue son propre rôle et surtout reste lui-même, en tout cas reste le personnage qu'il affiche publiquement. L'enlèvement est diffusé en août 2014, juste avant la sortie de Near Death Experience, où Houellebecq est le héros du film de Kervern et Delépine, tandem issu de Groland s'étant illustré par ses chroniques sur les paumés (Eldorado, Mammuth avec Depardieu).


Au début c'est une immersion dans la vie quotidienne de Michel. Les gens le croisent dans la rue, il leur répond, toujours avec cette décontraction blasée caractéristique. Puis il y a ses conversations culturelles avec une bobo à la maison. Bientôt les kidnappeurs entrent en scène et l'emmènent chez eux en attendant d'obtenir la rançon. Ils restent à visage découvert et dialoguent avec lui. Houellebecq peut laisser allez ses réflexions comme d'habitude et n'est pas brimé, juste otage. Il s'exprime sur la chimérique identité polonaise, le vide nécessaire à l'écriture, la démocratie et l'Europe, les mœurs des écrivains, partage leur train de vie. Rencontre improbable entre deux mondes, l'écrivain à bout (mais depuis longtemps, sinon toujours) et une micro-mafia pas loin des barakis évolués.


Luc, le gros sensible formé par l'armée israélienne, est dérangé par ce personnage soulignant ses manques intellectuels. Mathieu, le boxeur, a envie d'attirer l'attention de Houellebecq, de lui montrer son univers, cherche son approbation et essaie de donner du sens à ses attitudes. Tous les autres apprécient Michel, type affable à sa façon, le questionnent et s'ouvrent à lui naturellement - et réciproquement. L'enlèvement est ouvertement non crédible vu par le prisme du film de cinéma ou de la fiction sincère. Toutefois le prétexte n'est jamais oublié, simplement le contexte est absurde, mais d'une absurdité dont tout le monde s’accommode. Alors on converse, s'étend sur les banalités et les anecdotes avant de sombrer dans l'introspection.


Même si le spectacle est engageant dès le départ, le parti-pris autour de l'enlèvement fait douter. La troupe de kidnappeurs semble venir chercher quelques miettes de gloire de Michel, lui-même est profondément absent, ne s'en excuse pas. Mais le film prend la bonne direction et permet à son héros de s'épancher librement, le concept s'effaçant à son profit et permettant une cohabitation riche et stone. De même, au départ Houellebecq est sujet à un certain snobisme appuyé, lui évitant la sécheresse de l'analyse pure ; heureusement, une fois la tension du rendez-vous consommé, il peut donner le meilleur de lui-même, sans subir de tensions ni céder à la (discrète) compulsion à se mettre en scène, soi ou ses pensées. L'ennui objectif de Michel et ses acolytes laisse du terrain aux petites expérimentations et caies. Il n'y a qu'a piocher des morceaux, ils sont de plus en plus savoureux. Le génie avachi de Michel irradie.


http://zogarok.wordpress.com/2014/12/27/lenlevement-de-michel-houellebecq/

7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films français de 2014

Créée

le 26 déc. 2014

Critique lue 893 fois

4 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 893 fois

4

D'autres avis sur L'Enlèvement de Michel Houellebecq

Le Syndrome de Houellekholm

En 2011, Michel Houellebecq disparaît. Les médias s’affolent, les journalistes spéculent un enlèvement, mais Michel était simplement en train de se dorer le steak en Espagne. Nicloux s’inspire de ce...

Par

le 28 août 2014

21 j'aime

6

Avec les compliments de l'auteur.

Coproduit par Arte, L'enlèvement de Michel Houellebecq est un téléfilm s'inspirant vaguement de l'exil momentané de l'auteur, revenu en en 2012. Imaginant un enlèvement rocambolesque, le...

Par

le 6 mai 2015

18 j'aime

4

Le Concile de Loir-et-Cher

Contrairement au film des Grolandais Kervern et Delépine, L'Enlèvement de Michel Houellebecq n'a pas eu l'honneur de sortir en salles ; tout aussi contrairement, il est vraiment très, très bon. Il...

Par

le 20 déc. 2014

9 j'aime

Du même critique

Kirikou et la Sorcière
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

Par

le 11 févr. 2015

49 j'aime

4

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

Par

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2