Kneecap
7.3
Kneecap

Film de Rich Peppiatt (2024)

Kneecap par Spectateur-Lambda

Vu en avant première le 7 avril 2025 au cinéma Lumière Terreaux sortie nationale le 18 juin 2025.


D'une critique en dilettante de ce film on pourrait le résumer à un mélange entre Trainspotting avec qui il voisine dans le portrait d'une jeunesse prolétaire britannique mais pas anglaise, N.W.A - Straight Outta Compton dans sa peinture du mouvement Hip-Hop comme véhicule culturel à la révolte et manifeste politique et l'humour des films de stoners comme par exemple How High (2001). Ce faisant on aurait déjà selon moi de quoi inciter à découvrir ce film irlandais, mais ce serait lui ôter tout ce qui au final rend cette comédie aussi drôle que politiquement corrosive.


Le titre d'abord dont la polysémie mérite qu'on s'y attarde, "Kneecap" désignant en premier le nom du véritable groupe de rap originaire de la ville de Belfast qui a inspiré une grande partie du scénario, en deuxième on peut traduire ce terme par "rotule" or ce vocable était celui utilisé par les paramilitaires de l'IRA pour nommer leur châtiment envers les ennemis tombés entre leurs mains, qui consistait à leur loger une balle dans les rotules. Il y a un troisième sens, et celui-ci c'est un représentant d'une association irlandaise venu présenter le film qui nous l'a révélé, Kneecap en gaélique (il est fort probable que l'orthographe diffère, mais la prononciation est identique) signifie grosso mode "laisse tomber" : "Do we kneecap him ? Kneecap !" "Est-ce qu'on lui explose ses rotules ? Laisse tomber !"


Cette nuance linguistique est ce qui va plonger le film d'une part dans son propos central, le combat identitaire des irlandais pour protéger leur langue, d'autre part illustrer que la fin des combats et des actions violentes qui essaiment l'histoire du pays ont vécu, qu'ils ne sont pas pour autant terminés mais qu'ils ont investis d'autres formes, parmi lesquelles l'émancipation par la culture, ici la musique.


En refusant de chanter leurs textes en anglais, textes qui derrière un lexique centré sur le droit à faire la fête et à se défoncer, le groupe s'est retrouvé être pour la jeunesse d'Irlande du Nord, le symbole d'une lutte en faveur de la culture gaélique et l'ultime rempart contre la domination anglaise et l'invisibilisation de ce qui fait le cœur d'un peuple, sa langue. Cette effacement progressif mais réel de la langue celte a des échos nombreux dans l'histoire, interdire ou empêcher des peuples de parler leurs idiomes revêt souvent un moyen de domination des dits peuples par un état aux desseins coloniaux ou d'annexion des territoires. Le film s'avère être une contre attaque jouant les mêmes codes d'une stratégie d'assimilation culturelle et donc idéologique portée par la stratégie du "soft power", inonder le territoire et donc son marché de nos standards cinématographiques, littéraires, musicaux. Lui refusant voire lui niant sa propre culture, sa propre histoire, sa propre identité.


Rich Peppiatt a cependant la politesse de ne pas traiter son sujet sur le ton du drame socio-politique, mais en jouant au contraire celui de la comédie, même à divers endroits celui de la farce. Ce pas de côté qui n'occulte nullement l'aspect sombre de cette réalité dramatique vécue par le peuple irlandais dans sa résistance à l'hégémonie anglaise confère au contraire au film toute sa force et apparait il me semble comme beaucoup plus efficace pour faire er le message.

Comédie vraiment drôle, la salle pleine a été prise de fous rires plusieurs fois, entre situations invraisemblables, réparties et dialogues qui ont la finesse d'allier la grosse blague et le propos judicieux, des personnages aux caractères bien trempés. Les trois membres du groupe qui tiennent leurs propres rôles sont hilarants, attachants, insolents, ce sont des pendants à ce qu'ont pu être les membres du groupe Beastie Boys ou l'humour trash et régressif des Jackass.


La musique en plus est vraiment top dans le genre et même l'utilisation du titre "Belfast" par Orbital tombe juste, la mise en scène dans son ensemble est inspirée, audacieuse sans être démonstrative, dynamique sans être fatigante, bref une très bonne séance.

8
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Créée

le 8 avr. 2025

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Spectateur-Lambda

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