La grande illusion.

Comme tout garçonnet de neuf ans croyant dur comme fer à l'existence des tortues ninja, je vouais un culte sans bornes aux dinosaures, ces monstres géants non pas issus d'un quelconque folklore mais bien de notre histoire. Je connaissais tout ce qu'il m'était possible de savoir à leur sujet et guettais fébrilement chacune de leur apparition sur grand ou petit écran. La présence d'un tyrannosaure ou d'un tricératops était l'occasion d'un émerveillement purement enfantin, cependant atténué par la frustration d'avoir conscience qu'il ne s'agissait que de marionnettes articulées. Jusqu'à ce jour pluvieux d'octobre 1993 où tonton Spielberg et les magiciens des effets spéciaux m'offrirent ce que je n'espérais plus, des dinosaures, des vrais, qui courent, qui rugissent et qui bouffent quiconque se mettra sur leur age.

Souhaitant s'éloigner du gigantisme de son précédent "Hook", Steven Spielberg jeta son dévolu sur le best-seller de Michael Crichton, confiant l'adaptation au romancier lui-même et à David Koepp, pensant utiliser les talents combinés de Stan Winston et de Phil Tippett pour donner vie à ces sauriens d'une autre époque. La suite, on la connait, les éléments se dresseront contre l'équipe de Spielberg et la stop-motion ne donnera pas l'effet escompté. Résultat des courses, c'est toute l'industrie des effets spéciaux qui en sera bouleversée et Spielberg signera malgré lui la fin des SFX image par image tels que nous les connaissions.

Un parallèle de plus entre le film lui-même et sa conception sur une liste déjà longue, certaines séquences renvoyant directement (et parfois inconsciemment) au tournage du film. Car derrière le spectacle, Spielberg signe une mise en abîmes du divertissement hollywoodien, s'interrogeant sur l'illusion du septième art, sur ses chausses-trappes, sur ses réalités économiques, le cinéma étant autant une affaire de gros sous que de vision artistique, en témoignera l'imposant merchandising autour du film auquel Spielberg se moque pourtant gentiment tout au long du métrage.

En ce qui concerne le long-métrage à proprement parler, il est amusant de constater que derrière ses atours de blockbuster pété de thune, "Jurassic Park" est finalement un film modeste, permettant avant tout à Spielberg de revenir vers une série B à la "Duel" ou "Jaws", loin de l'ampleur d'un "Indiana Jones".

Filmé à hauteur d'homme par un cinéaste maîtrisant comme jamais le suspense et la suggestion, "Jurassic Park" demeure d'une efficacité redoutable, vous collant des frissons comme rarement un film de ce genre ne l'aura fait, procurant autant d'angoisse (l'attaque du T-Rex) que d'émerveillement (l'apparition du brachiosaure, la naissance du raptor), instants purement magiques rendus possible grâce à un savant mélange d'effets numériques et d'animatroniques, et au boulot incroyable réalisé par les équipes de Dennis Murren, Phil Tippett, Stan Winston et Michael Lantieri.

Détails généralement oubliés par les blockbusters actuels, les personnages sont ici parfaitement écrits et parviennent à exister et à être attachants, vecteurs d'une émotion palpable et de quelques pointes d'humour salvatrices. Le casting, impeccable, ainsi que la partition magistrale de John Williams, achèvent de faire de "Jurassic Park" est classique intemporel, un rêve de gosse devenu réalité qu'il me tarde de montrer à ma future progéniture, histoire de lui montrer qu'on ne déconne pas avec un raptor.
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le 5 août 2013

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Gand-Alf

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