Dans Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry nous fait découvrir le dispositif de Justice Restaurative, qui propose un cadre pour que des victimes échangent avec des auteurs de crimes ou d'infractions. On suit deux démarches en parallèle : celle d'un groupe de trois victimes qui vont rencontrer un groupe de trois prisonniers ayant commis des violences similaires à celles qu'ils ont subies d'une part, et celle de Chloé qui veut organiser un échange avec son frère qui la violait quand elle était enfant et qui est récemment sorti de prison et revenu vivre dans sa ville d'autre part.
A bien des égards, je pense que c'est un très bon film. Je me questionne toutefois sur quelques points que je partagerai en fin de critique.
Commençons donc par tout ce qui m'a semblé très réussi :
- Les personnages de victimes et d'agresseurs sont crédibles. Côté victimes, on parle de différents types d'agressions mais aussi et surtout de différentes manières de vivre les agressions (le syndrome de l'imposteur, le regret de n'avoir pas réussi à mieux gérer, les syndromes post-traumatiques…). Les personnages d'agresseurs m'ont également semblé sonner juste, même si je me sens moins en capacité d'en juger (celui qui est totalement paumé depuis toujours, celui qui suit un schéma et qui n'en connaît pas d'autre, celui qui se blinde à mort émotionnellement…).
- Tous les acteurs et actrices sont vraiment excellents. Les victimes, chacune à leur manière, nous permettent d'avoir une petite idée de ce qu'on peut ressentir après de tels traumas. Et j'ai été particulièrement impressionnée par les acteurs qui jouent les agresseurs : au travers de leurs corps, de leurs regards, de leurs mots, ils arrivent à construire des personnages complexes en peu de scènes, et ne tombent jamais dans la caricature. Enfin, les acteurs et actrices qui jouent les bénévoles sont aussi tous hyper bons ; c'est assez impressionnant et ça donne à voir à quel point leurs mots et leur comportement est important. Par exemple, Anne Benoit n'a que deux/trois répliques pour dire qu'elle écoutera chaque personne de manière inconditionnelle et pourtant à chaque fois, c'est hyper fort.
- La réalisation est très réfléchie et précise…pour se fait oublier. Les plans sont très sobres, il n'y a pas de musique, rien qui ne vienne se mettre entre nous et les dialogues. Cette sobriété permet de ne pas en faire des caisses, déjà que la tension émotionnelle est super forte. Du côté de l'histoire de Chloé, j'ai aimé que la focalisation soit faite de telle manière qu'on n'ait pas accès à son frère (ses entretiens préliminaires, son visage…), jusqu'à ce qu'elle se retrouve face à lui. On se met de son côté dans le processus, on vit les choses avec elle.
- Enfin, même si c'est un film sur l'échange, où les dialogues sont donc au premier plan, j'ai apprécié que les silences aient aussi leur place : on ne cherche pas à tout dire. Déjà ça rend les scènes plus justes car dans la vraie vie, on n'arrive pas toujours à tout formuler. Et puis, ça permet de ne pas prendre les spectateurs pour des idiots et ça honore la complexité des sujets. Par exemple quand Nawelle (Leïla Bekhti) dit que la prison a l'air confortable et qu'elle ne comprend pas pourquoi les sans-abris ne cherchent pas à aller en prison (opinion populaire dont il me semble qu'elle est assez répandue), la réponse de Nassim (Dali Benssalah) est courte - on sent qu'il est à court de mots pour expliquer - mais très chargée : il laisse entrevoir ce que c'est que de ne plus être libre.
Reste qu'une thématique comme celle-ci est assez casse-gueule par nature. La difficulté c'est que le sujet est à la fois hyper politique et hyper intime. L'intime est certes politique, mais les individus ne le vivent pas toujours comme ça. Il faut donc jongler : montrer des cas individuels crédibles et éviter de les instrumentaliser, tout en évitant que ça e des messages politiques problématiques sans filtre.
Globalement je pense que ça fonctionne plutôt bien, mais j'ai quand même quelques interrogations. À plusieurs moments, la question de la responsabilité individuelle est mise sur la table ; c'était nécessaire et cela n'aurait pas été crédible que ça ne soit pas abordé. Mais ça donne lieu à des scènes qui m'interrogent. Par exemple, à un moment, Nawelle (victime) explique à Issa (agresseur) qu'elle aussi est pauvre, qu'elle a eu un parcours de galères, mais qu'elle a fait le choix d'une vie honnête plutôt que de l'argent facile. A la fois la scène est très crédible, mais en même temps, on se retrouve face à une pauvre qui explique à un autre pauvre qu'il ne s'agit que de choix individuels. Je suis un peu embêtée qu'il n'y ait pas de contrepoint, car si jamais le spectateur ne s'est jamais intéressé à la sociologie de la prison, il sort potentiellement de la salle sans imaginer qu'il y a d'autres plans de réflexion complémentaires. Je suis d'autant plus embêtée que j'ai lu plusieurs fois des critiques élogieuses du film qui tenaient à souligner que le film "ne fait pas dans la culture de l'excuse". Je ne suis toutefois pas tranchée sur ce point ; je me rends compte qu'on ne peut pas traiter de tout dans un film, et ici le rapport agresseur-victime est déjà très bien traité en soi.
Le deuxième petit sujet sur lequel je m'interroge est celui du happy ending. Clairement on ressort de ce film un peu réparé, comme les personnages, et ça fait du bien. Mais je me demande si ce n'est pas un peu abusé (?) J'imagine que ça ne se e pas toujours aussi bien pour tout le monde, ça aurait pu être intéressant de montrer un personnage pour qui ça marche moins bien.
Bref en tout cas, c'est un très bon film, qui traite d'un sujet important avec beaucoup de justesse et de délicatesse. Je ne connaissais pas la Justice Restaurative, c'était grave intéressant.