Il arrive un stade où le cinéphile ne peut plus utiliser certains arguments pourtant pratiques. Dire d’un film qu’il aborde un sujet déjà vu mille fois auparavant n’a plus vraiment de sens lorsqu’on donne sa chance à toutes les œuvres, et qu’on est prêt, à chaque fois que les lumières se tamisent, à recommencer ce jeu de l’immersion dans une fiction.
Certains thèmes obsèdent, et ne tariront jamais les inspirations de ceux qui souhaitent en donner leur vision, au premier rang desquels on trouvera évidemment la ion amoureuse, cet état de bascule où le plus rationnel des individus peut dériver et perdre tout ce qui faisait sa lucidité.
ion simple adapte ainsi le roman autobiographique d’Annie Ernaux, qui relate son aventure avec un homme marié et l’emprise pour un une personne qu’elle a é son temps à attendre. Laetitia Dosch, de tous les plans, se fond avec conviction dans ce rôle où l’intensité se partage avec l’abandon. Danielle Arbid prend le temps de laisser parler les corps au fil de séquences très charnelles, qui d’ailleurs résument pour l’essentielle la relation d’un couple condamné à l’urgence et la clandestinité. La langue est un rempart (l’amant est russe, parle un peu l’anglais), le temps indisponible, et la vie de la maîtresse en pointillé, au risque de délaisser son fils et son travail.
La dislocation du rythme est justifiée dans la mesure où le récit retrace une perdition. Mais ces 100 minutes paraissent pourtant interminables dans la répétition des motifs et la façon dont la protagoniste s’enlise dans ce qui a tout d’un cliché. Certes, la posture est interrogée (notamment dans la référence aux romans de la collection Arlequin ou la consultation de l’horoscope, par exemple), mais le traitement général cède aussi à pas mal de lourdeurs, que ce soit dans le recours aux ralentis, aux chansons en renfort de la narration, ou les événements croissants de l’emprise d’une femme qui délaisse sa thèse sur une figure du féminisme, manque d’écraser son enfant ou ne le nourrit plus pendant quinze jours. L’agacement du spectateur devient ambivalent, tant se confondent la fragilité du personnage (« Russians don’t like weak people », assène d’ailleurs l’amant) et la totale adhésion de la forme filmique avec son errance. Ce ne sont pas les escapades à Florence (pour mater des statues à poil rappelant l’Adonis) ou à Moscou (pour respirer le même air que lui) qui ajouteront de la grandeur ou de l’universalité au traitement de cette ion. Nos vœux de rétablissement quant à sa crise n’ont finalement pas grand-chose à voir avec l’empathie : on a surtout envie que cet étalage nombriliste se termine rapidement.