In A Violent Nature s’inscrit d’emblée dans l’héritage des grands slashers des années 80, sans jamais se reposer sur ses lauriers, il y apporte une atmosphère angoissante presque malsaine. Comme souvent dans le genre, tout commence autour d’un feu de camp, avec des ados qui s’amusent à se faire peur. Mais ici, ce rituel prend un tout autre sens : il réveille, littéralement, une légende. En convoquant les figures mythiques de Jason Voorhees ou Freddy Krueger, le film semble tendre la main à ses aînés pour mieux les déer.
La proposition de mise en scène est radicale. Tourné en 4:3, avec un grain d’image granuleux et une lumière presque malade, le film étouffe volontairement le spectateur. On ne regarde pas le tueur : on le suit, on l’habite presque. La caméra épouse son rythme, sa lourdeur. À travers cette forme rugueuse, presque organique, le réalisateur signe un hommage viscéral aux classiques des années 80 et 90, sans sombrer dans la nostalgie facile. Il ne cherche pas à faire "comme avant", mais à retrouver ce qui faisait battre le cœur du genre.
In A Violent Nature est un film de genre, oui — pleinement, fièrement. Mais il est aussi un film de mémoire.
Dès les premières secondes, le film ne dévoile ni personnage ni action spectaculaire, mais un objet autour duquel tout semble graviter. Le cadre suggère plutôt qu’il ne montre. On perçoit des corps, des tensions, des émotions, sans jamais les identifier clairement. Le spectateur est tenu à distance, décentré, frustré — et c’est précisément dans ce manque que naît une atmosphère dérangeante. Ce choix formel installe une idée forte : le danger est déjà là, tapi dans l'ombre. J'ai perçu directement son langage : « Ici, pas de repères. Pas de héros. Pas de sécurité. » Ce hors-champ devient rapidement une grammaire visuelle à part entière. Il reviendra tout au long du récit, nourrissant la tension, et l’étrangeté subjective du point de vue du tueur.
Pour moi, cette ouverture est à la fois marquante et audacieuse. Elle pose les bases d’un film qui préfère l’évocation à l’exposition.
C’est une œuvre qui se regarde autant qu’elle se ressent — où j'ai saisit l’histoire, oui, mais où je reste surtout fasciné par la manière dont elle est racontée.
Le film prend le pari radical de nous plonger dans le point de vue du tueur, non pas à travers une voix off ou un discours explicatif, mais par le pur langage de l’image et du son. Ce n’est pas seulement une narration subjective : c’est une immersion sensorielle.
Pendant une grande partie du récit, le visage du tueur demeure invisible. On le suit de dos, dans des plans tremblants, instables. La caméra s’accroche à lui comme dans un jeu vidéo en vue à la troisième personne : elle colle à ses épaules, épouse sa démarche, amplifie ses respirations, capte chaque craquement de pas, chaque souffle haletant.
On n’observe pas le tueur. On devient son ombre.
À l’instar de Funny Games de Michael Haneke, A Violent Nature ne cherche pas simplement à faire peur. Il va plus loin : il interroge la position du spectateur face à la violence — sa fascination, son inconfort, son voyeurisme. Là où Haneke brisait le quatrième mur pour nous regarder dans les yeux et nous demander : « Tu veux vraiment voir ça ? », le film ici adopte une posture tout aussi dérangeante, mais plus insidieuse. Il ne parle pas au spectateur : il l’enferme. Impossible de détourner les yeux, impossible de se réfugier dans la distance morale. Le film neutralise toute position de confort.
Comme je le disais précédemment, le hors-champ devient un véritable moteur narratif, mais à certains moments-clés, le film opère un basculement subtil : il nous extrait brièvement de la perspective du tueur pour nous faire entrer dans l’univers des victimes. Ce changement de point de vue n’est jamais gratuit. Il permet de faire exister les personnages, de révéler leurs dynamiques, leurs tempéraments, mais surtout — et c’est là toute l’intelligence du dispositif — de raconter le é du tueur à travers leurs propres mots, à travers une histoire d’horreur locale — une légende urbaine effrayante qui semble fantasmée…
Sans avoir recours au flashback ni à la voix off, le film parvient ainsi à construire un mythe, à donner chair au é, tout en développant une tension souterraine : ces jeunes, qui rient de l’histoire qu’ils racontent, sont déjà observés. Et le monstre dont ils parlent n’est pas un fantasme. Il est là, tout près. Silencieux. Et il écoute.
Le film ne montre pas directement le premier meurtre — et c’est précisément ce qui le rend si marquant. L’horreur n’est pas posée d’emblée, elle est suggérée. Ce premier age à l’acte, pourtant central dans le récit, est traité avec une retenue glaçante : pas de cri, juste une tension sourde.
La mise en scène privilégie les transitions organiques, les silences lourds de menace. Le montage joue ici un rôle essentiel : il effleure la brutalité sans jamais la figurer, laissant des espaces vides pour que l’imagination du spectateur s’y installe. Rien n’est montré, et pourtant, tout est ressenti. Le film ne cherche pas le choc immédiat, il ne veut pas faire sursauter, il veut hanter.
Mais cette pudeur ne dure pas. Au fil du récit, la violence s’intensifie, implacable, jusqu’à devenir presque insoutenable. Là où le premier meurtre se fondait dans l’ombre, les suivants s’imposent avec une frontalité brutale. Les mises à mort gagnent en durée, en cruauté, en précision presque chirurgicale. Le film opère une véritable escalade graphique : la retenue se fissure, le silence se brise, et le cauchemar prend toute sa place à l’écran.
Ce choix est loin d’être gratuit. Il accompagne la montée en tension du récit, bien sûr, mais surtout, il incarne la déchéance du tueur, sa perte de contrôle, sa plongée dans une violence de plus en plus déchaînée — tandis que les victimes, elles, deviennent de plus en plus impuissantes, exposées, piégées.
Certaines scènes deviennent proprement traumatisantes, non seulement par leur contenu explicite, mais par la manière dont elles sont filmées. La caméra ne détourne jamais le regard. Et comme le spectateur est enfermé dans le point de vue du tueur, il ne peut fuir. Il est contraint d’assister. D’endurer. De ressentir.
Cette progression n’a rien d’un jeu d’effets. Elle vise à bouleverser, à graver une empreinte physique et émotionnelle durable. À rappeler que derrière la légende, derrière le style et les codes du genre, il y a un mal réel. Brut. Viscéral. Inconfortable.
À Violent Nature ne cherche pas le spectaculaire : il cherche l’impact. Celui qui ne fait pas hurler, mais qui laisse un silence lourd après la fin. Celui qui colle à la peau.
Quand le tueur e à l’acte, il prend son temps. Il ne tue pas dans l’urgence, ni dans la panique. Il tue avec méthode, avec précision, presque avec plaisir. Chaque meurtre devient un rituel. Le film choisit de ne pas détourner le regard, de ne pas abréger l’horreur. On assiste à tout son sadisme, à toute la violence qu’il a en lui, sans échappatoire. Ce n’est pas une explosion de rage incontrôlée : c’est une cruauté lente, assumée, presque jouissive. Le spectateur n’est pas seulement là pour regarder : il est forcé de rester, de ressentir, d’endurer. Et c’est dans cette tension, entre complicité visuelle et impuissance morale, que réside l’essence du film.
Malgré son apparente simplicité formelle, le film regorge de trouvailles techniques impressionnantes. Derrière l’image tremblante, le grain, les reflets et le style “caméra amateur”, se cache un travail de mise en scène extrêmement précis. Un plan en particulier m’a marqué : un Top Shot, une plongée verticale inattendue qui, tout en brisant la continuité du point de vue habituel, vient écraser les personnages, les rendre vulnérables, comme observés par une force supérieure. Ce plan m’a bluffé, non seulement par sa beauté, mais aussi parce qu’il semble presque impossible à réaliser au tournage du film. On devine que l’équipe technique a dû faire preuve de créativité pour le mettre en place, et cette ingéniosité sert pleinement le propos. Les plans sont souvent magnifiquement composés, avec une attention portée aux contrastes, aux couleurs naturelles, à l’équilibre des masses dans le cadre.
Le film utilise aussi le jump cut de manière intelligente, non pas comme un simple effet de style, mais comme un langage temporel. Ce procédé permet de suggérer la durée, l’attente, l’ennui ou la latence. Il matérialise le age du temps du point de vue du tueur. Le jump cut devient ainsi un outil dramaturgique qui donne à ressentir le age du temps, sans avoir besoin de le montrer de manière linéaire.
Un film qui brille avant tout par sa technique plutôt que sa narration.