Far West, fin du 19ème siècle.
Trois hommes attendent dans une petite gare au milieu de nulle part. Trois tueurs aux gueules tannées par le soleil. Patients, silencieux, ils sont là pour accueillir un voyageur. À leur façon. Un homme qui traque leur chef pour une raison connue de lui seul. Un homme qui arrive par le prochain train. Les trois tueurs l’ignorent encore mais lorsque jouera l’harmonica, ils seront déjà morts.
Le Bon, la Brute et le Truand avait déjà tout du western parfait. Fort de ses deux premiers opus, Leone y magnifiait son trio d’acteurs vedettes et concluait sa Trilogie du dollar, avec la certitude d’avoir réalisé là une oeuvre insurable. Et pourtant, deux ans plus tard, il revenait encore au genre, prenant le risque de se répéter, de faire moins bien ou même de se planter. La Paramount lui avait mis le grappin dessus et lui donnait les coudées franches pour faire ce qu’il savait faire de mieux pour une coproduction italo-américaine. Leone, lui, voulut revenir au western mais sous un angle nouveau. Raconter la Conquête de l’Ouest à travers le prisme de personnages s’entrecroisant tout en étant témoins de l’Histoire (ce qui était déjà un peu le cas dans Le Bon, la Brute et le Truand) et de leur époque qui change. Et mixer sa sensibilité européenne à une approche américaine, en y apportant les codes plus salissants du western spaghetti dont il était à la fois l’instigateur et le parangon. En résulta une sorte de synthèse des deux versants d’un même genre. La parfaite combinaison des codes classiques du film de vengeance et de l’épopée romanesque dédiée à l’aura de ses protagonistes. Des protagonistes que Leone voulut parfaitement représentatifs d’un genre qu’il jugeait arrivé à son terme.
Il était une fois dans l’Ouest...
Une jeune veuve au grand coeur, un chef de gang tout juste évadé de prison, un mercenaire assassin méprisant tout signe de faiblesse, et un mystérieux vengeur jouant de son harmonica. Tous sont des archétypes conscients de l’approche de leur trépas. Tous poursuivent leur propre but et forgent des alliances fragiles vouées à voler en éclats. La mort frappe alors au son des coups de feu, souvent précédés d’un air d’harmonica. Elle transforme les enfants en tueurs et les femmes en putains. Elle emporte avec elle, l’innocence et la vie, l’espoir et les rêves. Comme cet infirme rêvant de voir l’océan et qui rend son dernier souffle au bord d’une flaque d’eau croupie. Ou cette jeune femme, belle comme un astre, qui croit pouvoir trouver dans l’Ouest une échappatoire à sa condition, et qui n’y trouvera que le deuil, la cruauté, et l’amour sans retour.
La civilisation, elle, s’approche, inexorable, tandis qu’avance le chemin de fer. Elle apporte avec elle, les villes, la collectivité et la justice. Des centaines d’ouvriers s’affairent à leur labeur, traçant la voie pour un monde nouveau sous les yeux d’un homme tranquille, conscient qu’il est d’une race prête à s’éteindre. Alors qu’à l’écart de tous, se dispute un duel convoquant ses fantômes, les deux derniers de ces hommes s’éclipsent, laissant la femme raviver l’espoir et le temps effacer le désert.
Co-écrit par Sergio Leone, Sergio Donati, Bernardo Bertolucci et Dario Argento, Il était une fois dans l’Ouest cartonna en salles en Europe mais fut un échec cuisant en Amérique. Un peu comme si le public américain ne tolérait plus que des européens s’approprient et détournent aussi bien un genre qui reflétait les mythes de leur propre histoire.
On ne compte pourtant plus les scènes mémorables du film de Leone tant elles s’enchainent durant près de trois heures. De cette intro mythique à son duel final cathartique, en ant par le massacre de la famille McBain, la séquence de l’auberge, celle de la vente aux enchères ou encore celle de la fusillade en pleine ville ("C’est fou ce que le temps e..."), chacune d’entre elles aura marqué durablement l’esprit des cinéphiles.
Tout comme dans ses précédents opus, Leone lie ses personnages pour mieux les opposer, se joue des stéréotypes pour mieux les détourner. À contre-emploi, la star Henry Fonda est bien loin de ses rôles vertueux habituels, le justicier "en blanc", lui, n’en est pas vraiment un, la belle n’est pas la prude citadine qu’elle semble être, le rude Cheyenne, sous ses airs rustres, est en fait un gentleman, et même Morton, le "vilain" patron du chemin de fer n’est qu’un homme infirme poursuivant son rêve : voir l’océan avant de mourir. En parlant de rêve, il s’agit surtout ici d’opposer les illusions de Jill (Claudia Cardinale) à la réalité brutale d’un Far West sans foi ni loi. Et de confronter la jeune femme à trois figures masculines qui la traiteront différemment. Au final, seul le Cheyenne considérera Jill avec égard, bienveillance et comion. Frank, lui, pourri jusqu’à corrompre et détruire toute forme d’innocence, profitera d’elle non sans relever l’ironie de voir la veuve dont il exécuta la belle-famille s’offrir à lui pour sauver sa vie, tandis que l’Harmonica, aveugle à toute autre chose que sa soif de vengeance, se servira de la jeune femme simplement comme un moyen d’arriver à ses fins. Ce n’est qu’à la fin, au moment où il a atteint son objectif et qu’il préfère s’effacer, qu’il semble la considérer réellement pour ce qu’elle est, une femme, belle, sensible, pleine d’avenir... et amoureuse.
Claudia Cardinale est magnifique, Jason Robards, monumental, Gabriele Ferzetti se montre aussi ambivalent que touchant, Henry Fonda, lui, détestable à souhait, et Charles Bronson reste inoubliable. Le regard magnétique et l’allure calme, le futur Justicier dans la ville trouvait là son meilleur rôle et fera même dire à Leone qu’il était le meilleur acteur qu’il ait dirigé.
Premier opus de ce que l’on nomme tantôt la Trilogie de l’Amérique, tantôt la Trilogie du temps, Il était une fois dans l’Ouest sera suivi de deux autres chef d’oeuvres (Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique) qui finiront d’asseoir l’importance de leur auteur dans l’histoire du cinéma mondial. Épique, romantique et d’une cruauté toujours étonnante, portée par la musique légendaire d’Ennio Morricone, alors au sommet de son art, cette épopée cinématographique aux images inoubliables ne cessera probablement jamais de fasciner tous les publics, peu importe leur âge.
" - En somme, tu viens de découvrir que tu n’es pas un homme d’affaires.
- Un homme, c’est tout.
- C’est une race très ancienne..."