Une musique composée de cordes enjouées, planante et tournée vers les nuages. Puis deux visages ahuris et du bitume face au portrait craché d'un homme en deuil. Un coup de serpillère imbibée violent et sec. La musique s'arrête et laisse place au son du labeur. Une chute. Un coup de pied au cul. Et la musique repart de plus belle.
Hana Bi c'est d'abord une intro.
En moins d'une minute Kitano nous livre un message plein d'augure : la vie est parsemée de conneries à réparer et d'erreurs pour lesquelles tôt ou tard il faudra payer la dette.
Mais Hana Bi ce n'est pas que ça.
Ce joyau dans la filmo de Beat Takeshi est sans doute l'un des plus beaux films que j'ai jamais vus. Il me touche si profondément que je n'arriverai jamais à en parler autrement qu'avec le talent d'un élève de CE2 en pleine expression écrite dont le sujet serait de raconter son plus beau souvenir.
Et puis c'est un peu (beaucoup) ma Madeleine de Proust.
C'est peut être cette musique d'une rare sensibilité et si juste, tellement en adéquation avec la caméra qu'on croirait le film fait d'après elle, et non l'inverse.
Hana Bi et ses moments de silence, ses happenings magiques, ces sourires qui alternent avec le drame.
Le destin d'un homme —ou plutôt de deux hommes— qui entament le même voyage et traversent les mêmes épreuves toutefois différentes parce que personnelles. Difficile de nier l'analogie entre Nishi et Horibe, tous deux privés de leurs amours partis ou moribonds, comme amputés d'une part d'eux mêmes et en quête d'un nouveau souffle, un dernier, avant le bouquet final.
Difficile de rester insensible aux dernières étincelles de lumières que les deux hommes arrivent encore à saisir en vol avant de sombrer dans l'obscurité.
Hana Bi c'est l'amour taciturne, la complicité, celle qui rend hommage aux années partagées, aux épreuves insurmontables, et qui même après la douleur, le désespoir, la déchirure, le silence, est encore capable d'exprimer la gratitude envers des sentiments et des actes emplis de profondeur.
Mais plus encore que d'amour Hana Bi est un film qui parle de l'Artiste. Kitano met ainsi en abime ses propres peintures tout le long du film, comme pour le rendre encore plus personnel et intime.
Il met le doigt avec une justesse infinie sur l'éclosion d'une idée, ce mélange complexe de quête de soi, de sens, et d'émotions brutes et fulgurantes, de laquelle résultera une œuvre sincère et intime qui exprimera avec plus ou moins de force et d'impact les sentiments qui l'ont inspirée.
Parce que l'inspiration découle de nos parcours, et qu'elle ne surgit seulement qu' à un endroit précis, à un moment particulier; une fois et plus jamais.
Avec beaucoup de finesse, Kitano a su montrer que l'expression de l'art soulage l'artiste, mais ne se suffit pas à elle-même, tout comme les actions d'un homme ne trouveront de sens et de valeur que si elles s'exécutent et trouvent une signification dans une plus large échelle ; celle d'une œuvre, celle d'une vie.
La mort est d'ailleurs la façon la plus pertinente qu'a trouvé Kitano pour ancrer son septième film dans quelque chose qui se rapproche le plus de la vie. Il l'utilise pour rappeler sa nature violente, soudaine, injuste, parfois grotesque, déchirante, inévitable ; mais qui délivre et unit.
Elle achève la vie, termine l'œuvre, scelle l'amour à jamais.
Pardon pour la maladresse.