Chaque nouvelle réalisation de Michael Mann ressemble à un pied de nez au spectateur lambda. Qu’il s’agisse de gangsters, de flics, de boxeurs et désormais de hackers, le metteur en scène américain, dans sa quête d’ultra-réalisme et d’accomplissement formel, réalise à chaque fois une œuvre forte, exigeante, mais aussi fortement mésestimée. Blackhat, sorti dans nos contrées sous le titre de Hacker, s’inscrit parfaitement dans cette définition : flop critique et commercial gigantesque outre-Atlantique, il y a pourtant dans ce nouveau volet d’un cinéaste malheureusement trop rare l’addition irable de thèmes et d’expérimentations présentes en filagrane tout au long de sa carrière.
Hacker est un film d’une grande modernité. Dans son sujet, bien sûr, mais surtout et avant tout dans son emballage. Il est peut-être quelque peu présomptueux d’avancer cela, mais Michael Mann est un réalisateur extrêmement en avance sur son temps. Comment filmer la menace invisible ? C’est dans cette peinture magnifique d’une société paranoïaque que Mann tente de trouver une réponse à cette question : il esthétise un monde, décrit ses craintes et sa rapidité, ses enjeux et sa fragilité. Rien de pessimiste pourtant – c’est bien davantage dans le tableau de la contemplation de ses contemporains que le réalisateur excelle.
Mais plus qu’un faiseur de génie, Mann est aussi un formidable conteur. Hacker est un film ionnant, la narration et la construction du rythme sont exemplaires – il y a, dans ce déroulement gradué d’indices et d’enquête sur fond de tragédie économico-technologique, la marque d’une plume de maître. Déconstruction du héros américain, anti-film hollywoodien et inversion des attentes : on est bel et bien chez Michael Mann.
Dans un déluge de trouvailles visuelles novatrices et réfléchies, Mann nous invite en terrain connu mais brille ici d’une maîtrise titanesque. Hacker est un film de son époque, un objet impressionnant qui rappelle – étrangement – Antonioni dans sa sensibilité artistique. Ce n’est sans doute pas son meilleur film, mais Mann réalise ici un tour de force incroyable : là où le souci du détail rencontre l’abstraction de l’invisible, où le matériel fusionne avec l’immatériel, où – dans une explosion de sens – le numérique devient texture, son sens du pictural trouve son climax. Brillant.
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