Ah ça ! Je dois bien le reconnaître, dès les premières images, il a su faire naître des espoirs en moi, ce Flow.
Pas de générique. Entrée brusque en la matière. On se retrouve tout de suite avec ce chat au milieu des bruits et des mouvements de cette nature lumineuse et chaleureuse. Le style visuel du chat impose tout de suite son caractère. L'absence de musique et de parole aussi.
Ce n'est pas compliqué, sur son premier quart d'heure, Flow assume et affirme ses intentions. De l'audace, de l'audace et toujours de l'audace. La mise en branle du chat et de l'intrigue annonce qu'on ne tombera pas dans le piège habituel de l'animal qui parle (et qui parle d'ailleurs souvent pour ne rien dire). Ici on entend pleinement tirer parti du fait de produire un récit animalier, tout en profitant du dessin animé pour en maîtriser chaque geste, chaque expression, chaque signal.
Et puis surtout, la grande force et la grande intelligence du film – du moins en son début – sera de narrer par les lieux. Une maison abandonnée ici. Des statues de chat là. Même carrément un immense rocher tout entier qui a été remodelé selon les courbes du divin félin... Tout cela interpelle et appelle à l'attention, à la sensibilité et à l'interprétation du spectateur.
Dès le départ donc, Flow nous invite à mettre tous nos sens aux aguets, à éveiller nos instincts. En cela, cette décision prise de tourner le tout selon les codes et mouvements de caméra d'un documentaire animalier se révèle être un choix très malicieux. Les adeptes de jeux narratifs ne manqueront d'ailleurs pas de retrouver dans cette narration par l'environnement quelques emprunts formels de ci de là auprès de quelques titres plus ou moins récents du dixième art.
Personnellement je n'ai pas pu m'empêcher de penser au récent Stray, notamment dans cette manière d'orchestrer ce parcours à hauteur de chat, même si les dates rapprochées du développement des deux projets peuvent questionner sur la realité d'une telle influence. Par contre, le doute n'est pas permis concernant l'inspiration puisée dans les jeux de Jenova Chen, qu'il s'agisse de Flow (le bien nommé) ou surtout de Journey, notamment dans cette manière de guider naturellement la marche vers un point d'intérêt, lequel étant aussi accompagné parfois par un courant. Impossible également de contester l'influence visuelle qu'a pu avoir l'univers d'un Fumeto Ueda, qu'il s'agisse du rendu des animaux que de la composition des décors.
Alors certes, cet emprunt vidéoludique est parfois un brin maladroit, notamment dans cette manière dont le hasard amène tous les éléments nécessaires au sauvetage de ce bon chat au bon moment mais, dans l'ensemble, force est de constater que Flow a su prélever chez les meilleurs pour l'investir à bon escient. Tout cela était donc une très bonne base pouvant garantir un très bon film, bien marquant. Malheureusement, je trouve personnellement qu'au regard de ce qui se e par là suite, il en a finalement été autrement.
Parce qu'en effet, plus le film avance et plus il s'éloigne de ses intentions premières. Il essaye de faire ça comme si de rien n'était. Ça prend la forme d'un chat qui, tout doucement, se met à comprendre qu'en poussant le gouvernail, la bateau change de direction. La chose est faite de telle manière à appeler notre indulgence et, en vrai, j'étais prêt à lui accorder pour ce coup-ci. Mais en fait, cette patte sur le gouvernail, c'est un vrai pied dans la porte. A partir de là, le film relâche la bride. On anthropise un autre coup ici, puis un autre coup-là, et très rapidement on se retrouve avec des comportements qui n'ont plus grand chose d'animaux.
Même constat sur la narration. Au départ on voit bien qu'il y a des choses qui collent bizarrement ensemble : d'un côté des humains qui semblent avoir à peine quitté les lieux et de l'autre des bestioles mutantes qui suggèrent que des millénaires se sont écoulés. Alors soit, au début du film on se dit que ça fait partie des choses à saisir, mais en fait non.
Plus le film avance et plus on comprend que tout ça ne cherche pas forcément à être cohérent et que la narration entend cacher ses lacunes et ses impensés derrière ses silences. Ta gueule, c'est onirique.
À ce régime-là, Flow a fini par me lâcher au bout d'une grosse demi-heure. Rien de neuf n'est alors apporté. Les péripéties s'accordent beaucoup trop avec des heureux hasards. On comprend très vite qu'on va chercher à nous distraire avec des arcs superficiels jusqu'à cette destination tant annoncée depuis le début et qui peine à survenir.
Alors après, il reste vrai que cette arrivée à destination, grâce à la manière habile avec laquelle elle est menée, aurait presque pu er l'éponge sur pas mal de défauts de cette longue aventure.
Déjà cette destination finale nous offre ce qui est pour moi le plan du film : cet oiseau regardant vers la brume, immobile.
Et puis il y a cette idée de portail qui surgit soudain. C'est à la fois beau et délicat, et en plus de ça, je trouve que ça recolle parfaitement à la promesse du début. Ça ne dit rien en soi, mais ça ouvre la voie au questionnement et à l'interprétation sur le sens de toute cette aventure.
Moi, par exemple, j'ai trouvé que cette idée de portail avait notamment ce grand intérêt de suggérer une porte de sortie bâtie par les derniers humains. Après tout, les ruines les plus récentes étaient celles d'humains qui avaient manifestement renoué avec la nature, mais qu'il leur a malgré tout fallu partir, usant des technologies des temps anciens car ils savaient la montée des eaux inexorables.
Et le pire c'est que, si le film s'en était tenu à son point d'orgue, je pense qu'il serait parvenu à justifier la plupart de ses choix les plus discutables (à l'exception bien évidemment de sa mauvaise dynamique).
Parce qu'en s'arrêtant à cette scène de téléportation, Flow rendait possible l'idée d'une échappatoire laissée par l'humanité, et donc il pouvait éventuellement laisser suggérer que le courant guidant tout le monde vers les montagnes n'était pas seulement le produit du hasard, ce qui donnait en partie une justification à tous ces comportements d'animaux bien arrangeants pour l'intrigue.
Mais sauf que, non.
Il aura donc fallu que le film ne s'arrête pas là. Il aura fallu qu'il continue et qu'il enfonce définitivement le clou du ta gueule, c'est onirique.
Ces dix dernières minutes, ce sont celles qui entérinent définitivement le fait que, dans ce film, il n'y a que du symbole et pas vraiment de logique ni de cohérence.
La montée des eaux ? Bon bah finalement non, rien l'irrémédiable. Ça redescend comme c'est monté. Pourquoi ? On ne sait pas vraiment. C'est magique. C'est Dieu. C'est Noé qui a dû relâcher des cerfs sortis de nulle part...
Et même si j'ai conscience qu'en me crispant sur tous ces points-là, je risque de er pour le gars aigri qui ne sait pas s'ouvrir suffisamment à un film qui a tenté quelque chose d'un peu ambitieux, poétique et original, d'un autre côté, je n'ai clairement pas envie d'ignorer ou de taire cette aigreur, parce qu'à mon sens, elle n'est pas anodine non plus.
Oui, Flow est un film qui a tenté quelque chose d'un peu ambitieux, poétique et original, ça c'est vrai. Et c'est tout aussi vrai qu'il sait offrir, de temps en temps, de bons moments. Sur tous ces points, je suis d'accord.
Il n'empêche qu'il n'a fait que tenter. Au bout du compte, il n'est pas allé jusqu'au bout de son idée. Et ce qui a du mal à er chez moi, c'est que j'ai vraiment l'impression que si ce film n'est finalement pas allé jusqu'au bout de ses idées, c'est parce que ses auteurs étaient pleinement satisfaits de ce qu'ils avaient produit.
Sur pas mal d'aspects, on ressent un peu partout cette idée de « c'est déjà très bien ce qu'on a fait. Pas besoin de pousser le taf plus loin. C'est suffisant. »
Que ce film n'explique pas tout, très bien. Par contre qu'il n'ait pas pris la peine de réfléchir à tout, moi ça me pose souci. Et ça me pose d'autant plus souci que je ne peux m'empêcher d'y voir un marqueur de notre temps.
Flow aurait été réalisé quinze à vingt ans plus tôt, est-ce que ses auteurs se seraient convaincus aussi facilement qu'ils avaient poussé les curseurs suffisamment loin ?
Ce niveau d'eau qui monte régulièrement et puis qui, soudainement, s'arrête le temps d'une scène, avant de repartir de plus belle par la suite, est-ce qu'il y a quinze ans on se serait dit « rooooh, de toute façon personne grillera, donc ne nous faisons pas chier » ?
Est-ce que ce manque de trace de morsure dans la poisson, ce manque de trace dans le bois laissé par les griffures, ce manque de poussière ou de vibration des planches au moment où celles-ci sont ébranlées au-dessus de la cachette du chat auraient-elles été acceptées quinze ans plus tôt ?
Alors j'entends certes bien qu'on n'a pas ici affaire 2 un film bénéficiant du budget d'un Pixar et qu'en conséquences, pour si peu, il reste vrai que le rendu est saisissant et qu'il a bien fallu faire des sacrifices quelque part. Néanmoins, pourquoi sur ces points ? Après tout, le visuel à la Ueda pour les créatures, notamment sur la question des textures et des ombres, était en soi une bonne solution pour ne pas s'embrasser de détails pileux techniquement bien compliqués et au bout du compte bien superflus. Alors pourquoi ne pas avoir poussé cette même logique que les décors et la nature environnantes ; quitte à faire cohabiter deux styles visuels par forcément compatibles entre eux ? Est-ce qu'il y a quinze ans on se serait dit « les gens ne feront pas gaffe alors on s'en fout » ?
Moi je ne suis pas sûr. En tout cas, je pense qu'il y a quinze ans, on n'aurait pas tous applaudi des deux mains face à un beau film pensé à moitié.
Flow est mignon, là-dessus pas de souci. Flow sait aussi parfois être poétique, OK. Mais sachons aussi un peu raison garder.
Car si, à un moment donné, je me suis risqué à aller voir ce film, c'est surtout parce qu'un peu partout, on me l'a vendu comme l'un des films de 2024 ; comme un grand bijou de l'animation. Et s'il reste vrai qu'au regard de cette triste année, la fraîcheur de Flow peut effectivement quelque peu détonner, il serait malgré tout bon de ne pas voire dans une goutte d'eau un gigantesque raz de marée...