Autant adoré que détesté, Dillinger est mort est l'un des films les plus radicaux et absurdes de Marco Ferreri. Porté par un Michel Piccoli en état de grâce, Tamasa nous permet de redécouvrir cet objet filmographique non identifié dans des conditions optimales.
A la fin des années 1960, le monde change, porté par un élan révolutionnaire et une critique du mode de vie « occidental »... et Marco Ferreri aussi ! Il abandonne ainsi le caractère néo-réaliste de ses premières œuvres et appuie un peu plus les côtés absurdes et provocateurs qui ont toujours parsemé ses réalisations. Son fidèle scénariste Rafael Azcona, rencontré au début de la carrière de Ferreri en Espagne, ne collabore plus avec lui et le cinéaste se rapproche de la gauche contestataire, d'abord le PCI puis le groupe « maoïste » Lotta Continua... Contemporain aux événements des années 1968 (marquées en Italie par des grèves, luttes étudiantes et attentats), Dillinger est mort symbolise bien le changement de ton du cinéaste italien qui s'entoure d'ailleurs du scénariste politisé Sergio Bazzini (qui travaillera avec Godard, Bellochio, Bolognini...). Il marque aussi la première collaboration avec Michel Piccoli, qui deviendra un des ses acteurs fétiches, un ami, un des ses fervents défenseurs ainsi que l'un des producteurs de La grande bouffe. Dans un rôle de dessinateur de masques à gaz en roue libre, qui le temps d'une soirée décide de solder son compte et de prendre un nouveau départ, Michel Piccoli impressionne. Pratiquement seul à l'écran dans un film où il ne se e pas grand-chose, il devient à la fois notre guide et le témoin de la folie de notre monde où matérialisme et vacuité de l'existence semblent aller de pair. Sa prestation incroyable renvoie d'ailleurs à bien des égards au Themroc de Claude Faraldo sorti en 1973. Ce genre de personnage anarchiste et dingue dont on se demande bien qui aurait pu mieux l'incarner que lui.
LA FOIRE AUX OBJETS
Durant la majeure partie du film, tourné dans l'appartement de Mario Schifano (représentant du Pop art italien), Piccoli se retrouve en confrontation avec de nombreux objets. D'abord, le masque à gaz, symbole ô combien actuel de la peur et de l'aliénation, qui donnera beaucoup d'inspiration au collègue de travail de Piccoli qui nous gratifie d'un long monologue rejoignant la pensée de Marcuse, grand théoricien du mouvement « soixante-huitard ». Une fois rentré chez lui, auprès de sa compagne qui ne sortira jamais de son lit, femme-objet par excellence incarnée par Anita Pallenberg muse des Rolling Stones et femme de Keith Richards, Piccoli s'adonnera à un inventaire de ses biens, à la manière d'un Gian Maria Volonté dans La Classe ouvrière va au paradis. Ustensiles de cuisine, téléviseur où on évoque la sexualité des jeunes filles ou la légende du cyclisme Fausto Coppi, un rétroprojecteur le renvoyant à des souvenirs qu'il tentera d'attraper mais en vain... Mais c'est bien la découverte d'un revolver, objet iconique par excellence, rangé dans un journal datant de la mort de John Dillinger, qui représente le culte de la mort et de la violence, qui sera l'élément déclencheur d'une nuit folle et tragique, fatalement. Cuisiné (!?), démonté, repeint, l'arme trompe l'ennui de l'homme qui tel un enfant s'ama à singer les gangsters jusqu'à les imiter définitivement, sans préméditation ni haine. Juste un acte gratuit avant une fin onirique en rouge monochrome, filmée près de Portovenere, où est située la Grotte de Byron, endroit qui inspira l'auteur britannique et qui permet au personnage de Piccoli de trouver une voie de sortie.
Évidemment, un film aussi absurde et radical, où la quasi-absence de dialogue renvoie à l'incommunicabilité entre les êtres ne pouvait plaire à tout le monde. Son age à Cannes en 1969 entraîna de vifs débats et divisa la critique. « Merveilleux de simple évidence » selon Godard, ennuyeux pour les autres, Dillinger est mort demeure l'un des films les plus radicaux de son auteur et annonce son plus grand succès et scandale à venir, La Grande Bouffe en 1973.
(Retrouvez l'évaluation de la partie technique de l'édition Blu Ray-dvd de Tamasa par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6732)