Quatre garçons dans le vent s'en vont pagayer sur une rivière et jouer aux trappeurs chevronnés. Armés d'arcs, ils chassent, campent et bivouaquent. Lors d'une énième sortie sur la rivière, l'un des deux canots accoste sur un rivage que l'on peut qualifier d'inhospitalier. Les héros font alors la connaissance de deux locaux du meilleur cru, des espèces de rustiques un peu frustes (doux euphémisme) et sauvages. Et à partir de là, ils vont en prendre plein le cul, au propre comme au figuré.
Il s’agit d’un choc frontal entre deux sociétés américaines : l'une civilisée, moderne, un brun colonialiste, l'autre sauvage et renfermée sur elle-même. Comme "Les chiens de paille" (1971) de Sam Peckinpah, ou encore "La colline a des yeux" (1977) de Wes Craven, les héros confrontés dans un premier temps à l'hostilité et à la brutalité des autochtones se révéleront tout aussi violents, si ce n'est pire que leurs agresseurs. Boorman ne fait pas du tout l’apologie de l'autodéfense dans ce film, qui reste incontestablement son chef-d’œuvre, mais montre que nos pulsions de tueurs sont profondément inscrites dans notre ADN humaine. Une fois le film vu, il est difficile de savoir ce que chacun aurait fait à la place des héros. Comme l’un des protagonistes (Ed), pourrions-nous puiser en nous une telle bestialité pour s’en sortir vivant ? Et à quel prix ?
Beaucoup de scènes sont mémorables : en ouverture du film, d'emblée, un moment de grâce : une improvisation bluegrass entre l'un des héros (Drew), qui joue de la guitare, et un enfant, dont la tête révèle une anormalité (Autisme? Consanguinité? ...les deux?) et qui joue du banjo. L'improvisation est magnifique, mais quand le guitariste invite l'enfant à entamer une nouvelle session d'improvisation, celui-ci détourne curieusement le regard, comme si l'homme avait été impoli ou intrusif dans son invitation. Moment de tension, qui annonce l'opposition à venir. Quand les quatre hommes aperçoivent à nouveau l'enfant sur un pont, alors qu'ils pagayent, le film dévoile une curieuse dimension onirique, irréelle, qui fait penser que tout cela n'est en réalité qu'un cauchemar. Boorman remet en question ici l’idée de gloire et d’héroïsme. Les personnages s’en sortent de justesse, avec quelques mensonges à la clé, que le shériff, qui constitue l’ultime rempart pour des héros traumatisés à vie, peine à avaler. A la fin du film, Ed fait un cauchemar : il rêve d’une main qui jailli d’un lac. Un Bé mol, qui fait pressentir que les héros ne se relèveront jamais indemnes de leur expérience, et indique que la « délivrance » en question semble très relative. Un film saisissant de bout en bout.
Nb : Bill McKinney, l'un des deux "agresseurs" dans le film, est décédé en décembre 2011. James Dickey, l'auteur du livre dont est tiré le film, joue le shériff que l'on ne voit qu'à la fin du film. Il se révèle excellent comédien.
A voir : la parodie de Delivrance, avec Frank Dubosc.