Chinatown est un film que j’ai vu pendant le confinement, dans un contexte particulier où chaque film devient une sorte de fenêtre vers un autre monde. À l'époque, je n'avais fait qu'un petit commentaire sur ce classique de Polanski. Aujourd'hui, avec un peu plus de recul, je me rends compte que ce film, bien qu’indéniablement marquant, m’a laissé un goût étrange, comme un très bon vin que l’on ne parvient pas à apprécier pleinement.
Tout d’abord, Chinatown est un film traditionnel, dans le sens où il embrasse pleinement le genre du polar, avec toutes ses figures imposées : le détective privé désabusé, une affaire complexe, une femme fatale, des secrets bien enfouis et des révélations qui s’enchaînent. Pourtant, là où beaucoup pourraient s'attendre à un chef-d'œuvre absolu, le film de Polanski ne m’a pas complètement happé. La construction du suspense est impeccable, la réalisation splendide, et il n'y a rien à redire sur l’esthétique du film. Mais il m’a manqué cette étincelle, ce quelque chose qui le propulse au rang de « film immense » dont on parle partout.
Une des plus grandes forces du film reste l’usage du hors champ. Polanski, toujours maître dans l'art de suggérer sans tout montrer, se révèle ici une nouvelle fois brillant. La tension s'installe de manière subtile, et bien que la mise en scène soit fluide et parfaitement maîtrisée, j'ai eu du mal à m’immerger complètement. Peut-être le fait que j'ai vu le film en version française, ce qui n'est pas vraiment idéal pour un film de cette envergure. Le doublage a pu créer une distance que la langue originale aurait certainement dissipée.
Le personnage de Jack Nicholson, incarnant le détective Jake Gittes, m’a particulièrement marqué. Je l’avais toujours associé à des rôles plus flamboyants, voire déviants. C'est un peu déroutant de le voir dans un rôle aussi "normal", aussi terre-à-terre, en comparaison avec ses personnages plus extrêmes et excentriques, comme dans Vol au-dessus d’un nid de coucou ou The Shining. Cela m'a rappelé à quel point il est un acteur exceptionnel, capable de nuancer ses rôles et de s'adapter à des registres très différents.
Le plus grand reproche que je ferais à Chinatown, c’est peut-être son approche froide, presque clinique. On sent bien l’intention de Polanski de dépeindre une intrigue labyrinthique, mais en dépit de la richesse de son univers, il manque cette émotion brute que l’on trouve dans d’autres films de la même époque. La révélation finale, qui est pour le moins malsaine et déstabilisante, apporte cette touche d’amertume qui fait qu'on se souvient du film longtemps après le générique de fin.
Il y a un aspect qui m’a particulièrement frappé, cependant, en repensant à Chinatown. La fin de The Ghost Writer de Polanski m’a semblé largement inspirée de celle de Chinatown, dans une sorte d’autocitation subtile mais évidente. Polanski, tout en rendant hommage à son propre travail, parvient à ancrer cette conclusion dans un contexte bien différent, mais tout aussi tragique.
Finalement, Chinatown reste un film fascinant, mais je trouve qu’il est souvent jugé trop sévèrement comme "l'ultime polar". La réputation du film en fait un grand classique, mais il m’a manqué l'élément qui le rendrait véritablement inoubliable. Peut-être qu’une deuxième vision, dans un autre état d’esprit et avec un regard plus affûté, me permettra de lui donner la place qu’il mérite dans ma cinéphilie.