Candyman
5.4
Candyman

Film de Nia DaCosta (2021)

Qu'en dit Man ?

Précédemment...


Afin de construire notre principale partie réflexive, nous distinguerons trois temps en ce devoir préparatoire. Au prisme de la deuxième partie évoqué ci-dessus, réalisable autour du présent du cinéma, je souhaite évoquer des démarches, phénomènes et idées courantes au sein du cinéma actuel, ces vingt dernières années – donc, depuis le début des années 2000. Nous étudierons ainsi dans un premier temps les représentations positives des minorités afro-américaines au prisme du cinéma, c’est-à-dire comment les minorités vont être confortées dans ce statut en mettant en scène des personnages qui puissent leur faire honneur. La chose sera principalement démontrée à travers l’exposition des rapports intercommunautaires au sein des films du corpus. Il sera ainsi question de leur trouver sens vis-à-vis d’un contexte particulier, notamment vis-à-vis des origines des cinéastes et des motivations de réalisation. L’intersectionnalité en sera une arme fondatrice, puisque nous verrons que l’évocation du personnage racisé peut croiser celle du personnage et / ou de la cinéaste sexisé(e). Dans un second temps, nous serons amenés à nous pencher sur la déconstruction proposée par les films du corpus, en tant qu’opposition aux regards portés sur le monde au sein de l’horreur traditionnelle, c’est-à-dire, sa radicalisation récente. Elle implique de revenir sur les discours ambivalents, donc sur les ambiguïtés entourant les notions de protagoniste et d’antagoniste, ce dernier ne désignant par ailleurs pas nécessairement celui que le public a tendance à appeler le méchant de l’histoire. Dans un troisième temps, nous nous interrogerons sur la pluralité des registres convoqués afin de porter les différentes facettes de l’œuvre, ses influences – horrifiques ou non. Il s’agira aussi d’explorer l’effet de ces paradoxes, sans lesquels l’ancrage du film dans l’air du temps, c’est-à-dire son rapport à l’état de l’art et au contexte de réalisation, perd sens.


Plan détaillé du mémoire final

Il s’agira, dans une première partie, de revenir sur la genèse des thématiques que je convoque ; cette partie s’intitulera ainsi « Le film d’horreur comme vecteur d’un discours alarmiste ». Une formulation, amorçant une partie revenant sur la genèse de la dénonciation de la discrimination au cinéma, les premiers stéréotypes convoqués, les premières ambitions… par laquelle s’en suivra une suite d’allusions à des films antérieurs aux années 1970, et pas seulement dans l’appartenance de l’horreur. S’il sera principalement question de l’impact de La Nuit des morts-vivants sur les films récents précédemment évoqués, je reviendrai aussi rapidement sur les enjeux de représentation véhiculés dans des films au succès plus modeste telles que Vaudou. En effet, à l’époque où la ségrégation est légale aux États-Unis, cette première partie sera l’occasion de m’intéresser aux clichés les plus éculés au cours des premières décennies du septième art. Il sera aussi l’occasion de définir les représentations stéréotypées auxquels je fais allusion dans mon sujet, leurs sources et leurs premiers effets. J’exclus alors les films telles que Vaudou, qui ne rentrent pas dans la catégorie ni l’époque que je traite. En parallèle, je tisserai des liens avec les productions les plus récentes de mon corpus, afin de montrer l’écart entre les clichés qui ont été « retenus », et ceux qui ont fini par évoluer. En trois temps, je m’attarderai, respectivement, sur la portée symbolique du zombie, considéré comme le tout premier jalon de l’horreur-critique ; les premières combinaisons entre film de genre et drame social ; enfin, sur les représentations de la dualité entre les communautés majoritaires et les communautés minoritaires.

Dans une deuxième partie, je me concentrerai sur la déconstruction du genre horrifique, c’est-à-dire, sur les différentes manières dont il se détache de ses normes afin de se doter d’une lecture moins orientée vers le fantastique. La partie en question s’intitulera « Les hybridations thématiques ». Elles impliquent donc une prise de position précise de la part du metteur en scène ou du scénariste. Respectivement, mes trois sous-parties porteront sur : l’actuelle représentation positive des minorités afro-américaines au prisme du cinéma ; les discours ambivalents, questionnant chacun les valeurs de l’antagoniste et du protagoniste ; enfin, je m’attarderai sur la pluralité des registres, c’est-à-dire au cas par cas, sur le degré d’horrifique, ainsi que les actuelles influences diverses.

Enfin, dans une troisième partie, il sera question de l’aspect controversé des discours portés par les films du corpus, en analysant la réception de certaines représentations. Cette troisième partie s’intitulera « Les limites d’une déconstruction ». Un dernier opus qui s’intéressera aux critique émises par les films, que je construirai dans l’ensemble comme une forme d’anticipation pour les films futurs. Cette ultime partie s’intéressera aux trois points suivants : les différentes contextualisations comme prétextes à suggérer d’autres problèmes ; les aléas de l’horreur « critique » sur la mise en scène ; pour conclure, la confusion entre stéréotypes remis en question et stéréotypes approuvés, la fatalité de nombreux films souvent décriés par la critique. Par ailleurs, je veux évoquer les idées estimées impossible à représenter de nouveau pour les productions actuelles, et les problèmes qu’elles suscitent autant chez le public que d’un point de vue qualitatif. Tout en contournant l’étude de la réception de ces films, cette partie demeurera plus libre vis-à-vis de la chronologie, dans la mesure où elle s’écarte de l’aspect historique des deux premières.


A) L’actuelle représentation positive des minorités afro-américaines au cinéma

Joachim Daniel Dupuis décrit le zombie comme étant « un mythe de notre époque ». S’il s’agit bien d’un témoignage confirmant l’étonnante modernité qu’il porte, sa portée sociale semble s’éteindre à petit feu depuis quelques années, avec l’avènement entre autres de la série The Walking Dead (originellement diffusée entre 2010 et 2022), dans laquelle le zombie ne prétend pas porter de valeur sociale en particulier. Ainsi, notre corpus filmique se détache fortement du genre fantastique pour lorgner vers le drame, plus précisément le drame social, ainsi que le thriller et ses nombreuses composantes, telles que le psychologique (lorsque l’état mental des personnages joue sur le déroulé des événements) et le mindfuck (lorsque le déroule des événements fait preuve de retournements de situation induisant volontairement les spectateurs en erreur). En effet, la vague de thrillers horrifiques propre aux années 2010 a vu naître une poignée de productions plus ou moins rentables, qui semblent se répondre tant leurs propos sont semblables. Pour autant, elle n’est pas la balise première du genre. En 1972, avec Délivrance, John Boorman, cinéaste issu du Nouvel Hollywood, aboutissait à la combinaison du drame social avec un genre a priori incompatible, le film d’aventure. En effet, tout en puisant dans les codes de l’horreur, notamment à travers la séquence centrale, d’une violence viscérale, tout du moins perçue au moment de la sortie comme particulièrement percutante, ce film avait pour fin de refléter le « grotesque sudiste ». Pour cela, Boorman a adopté pour un « langage [alternant] entre une réalité vue et une réalité suggérée, de sorte que l’imaginaire du spectateur joue avec l’indicible à la manière du film d’horreur ». Le scénario relate l’odyssée d’un groupe de quatre hommes, originaires d’Atlanta, en Géorgie, se confrontant à la descente d’une rivière prenant source dans les Appalaches, en Caroline du Nord, et qui devra faire face à des malheurs. L’aspect aventureux sert de prétexte à cette œuvre portant avant tout sur la dangerosité non pas de la nature, mais de ses occupants, les différents occupants du cadre naturel dans lequel l’intrigue prend place se révélant de plus en plus inquiétants. Autrement dit, entre la scène du « duel au banjo » entre Drew et un jeune homme mystique, et celle du viol du personnage de Bobby par deux dangereux individus, découle une représentation volontiers manichéenne des différences de comportement entre les gens « d’en haut », représentés par les deux ravisseurs de Caroline du Nord, et des gens « d’en bas », représentés par les quatre hommes originaires de l’état de Géorgie, dans le sud-est du pays. Un tel constat peut faire écho à un héritage du rapport historique que le sud des États-Unis entretient avec l’exploitation et l’esclavage. Il en montre ainsi les conséquences à travers le caractère autistique des personnages rencontrés. Certaines scènes, celle du viol tout particulièrement, s’avèrent gores. Dans la seconde moitié du film, de nombreux plans empruntent volontiers des effets tout droit sortis de films d’horreur, notamment les séquences de nuit au cours desquelles la tension est palpable – le survivant parmi les deux violeurs peut alors réapparaître subitement – ou encore le célèbre plan ayant servi l’affiche officielle du long-métrage, montrant un bras sortant de la rivière, fusil en main. Délivrance se révèle foncièrement ambigu dans sa démarche puisqu’il ne convoque pas de personnage non-blanc, ni dans le stéréotype ni dans l’une des trois formes d’opposition au stéréotype par ailleurs, et ne prétend pas avoir d’autre prétention que d’exploiter les codes du rape and revenge. Le film de Boorman n’explicite jamais réellement ses intentions, l’œuvre du cinéaste s’étant toujours davantage focalisé sur des voyages à fins écologiques pour se construire et moins axés sur les sentiments. Cette démarche de réinvestissement du cadre semble s’inspirer de La Nuit des morts-vivants, puisque dans les deux cas, la peur est provoquée par un effet de distance disparaissant progressivement entre les protagonistes et les antagonistes. Ceux-ci sont représentés par le mort-vivant arrivant de loin après un coup de tonnerre dans l’un, et dans l’autre, par le groupe de redneck neutralisant les quatre Américains en pleine forêt. Le redneck, au même titre d’un mort-vivant d’un point de vue plus large, est le fruit d’un « certain état du é de l’Amérique, du devenir de son Histoire. Il revient depuis la profondeur du champ, comme symbole d’une histoire dont il s’agit de vérifier l’état afin de le réévaluer ». Ainsi, le cas des redneck se rapproche consciencieusement de celui du zombie, puisque les deux sont présents de manière permanente (population réduite et allégorie de la mort). Au contraire, si Jordan Peele pratique l’hybridation de genre, tout en s’illustrant dans de l’horreur pure, son œuvre a pour principale démarche de fusionner angoisse et images sanguinolentes, avec une forme en vogue du cinéma social. Celle-ci demeure indissociable de la « pâte Spike Lee », celle qu’un cinéaste de type caucasien ne saurait exploiter, et dont la réception différerait certainement. Originellement, « [les Noirs dans les films d’horreur sont souvent un produit majeur des studios, mais sans portée universelle. Ces films ont toujours été produits par des cinéastes non-noirs pour une consommation grand public] ».


Jordan Peele est-il le cinéaste ayant changé la donne ? Originellement humoriste s’étant établi à New York, Peele sort son premier long-métrage, Get Out en 2017, dont le synopsis lui est venu à l’esprit après avoir regardé un stand-up du comédien Eddie Murphy relatant sa première rencontre avec ses beaux-parents, en y ajoutant le ton horrifique tel que nous le connaissons afin d’y refléter « certaines de [ses] peurs, et certains problèmes auxquels [il a déjà été] confronté ». En souhaitant produire une œuvre inscrite dans l’air du temps, le cinéaste ne pense pas si bien faire puisque le film sort 24 février 2017 dans son pays d’origine, soit un peu plus d’un mois après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, plongeant les États-Unis dans un gouvernement très conservateur d’un point de vue social, et économiquement ultralibéral. Us le suivra deux ans après, portant des thématiques similaires avec un traitement plus obscur et surtout moins interracial. Ses deux premiers longs-métrages, mettent tous les deux en valeur un sujet humain socialement mésestimé, sous l’emprise d’un groupe humain longtemps considéré comme étant supérieur d’un point de vue ethnique : la définition même de l’individu racisé. En s’appuyant sur une succession de ressorts dramatiques, tels que la traque, la considération de l’individu au sein d’une société où il ne se sent pas à sa place, ainsi que la paranoïa – tout se condense sur le personnage de Chris dans le cas de Get Out, explorant davantage la peur individuelle ; dans Us, c’est une peur collective, en l’occurrence familiale, qui nous est montrée, plus particulièrement au prisme du personnage d’Adelaide, la mère (incarnée par Lupita Nyong’o), dont la paranoïa occupe une place centrale lors de l’arrivée de l’élément perturbateur –, le tout mâtiné de gore et de haute tension, les deux films remplissent tous les critères de l’hybridation horreur/social. La question de la peau et de son histoire, organe porteur de « toute transformation », baigne dans le fantastique et l’horreur, étant considérés comme deux genres « voués par excellence à toutes les transformations », et demeure au cœur des ressorts exploités.


Les films d’horreur classiques ont tendance à associer leurs personnages principaux à un motif qui s’avérera décisif dans leur destinée, d’un moment à l’autre. Les armes des assassins (le couteau de Myers dans La Nuit des masques, ainsi que le gant griffu des Griffes de la nuit, dont Peele rend par ailleurs hommage dans Us) et le cursus des protagonistes (par exemple, la main tranchée d’Ash dans Evil Dead 2, la froideur apparente de Jack dans Shining, ainsi que la nature autistique de Kazan dans Cube), sont autant d’éléments au premier abord anecdotiques qui s’avéreront vecteur du grand frisson et de la clé de l’issue finale.

Contrairement à ce que raconte la légende (« [Nous mourrons toujours en premier] »), le personnage de couleur ne doit pas nécessairement mourir en premier. Tel est le cliché éculé, moqué et régulièrement tourné en dérision, sur lequel Peele se base pour annoncer la couleur que prendra son film. L’ouverture de Get Out suit un jeune homme afro-américain, dénommé Andre, qu’on ne reverra pas du reste du film, faire part de son inconfort aux sein des États-Unis par le biais d’un coup de fil. S’ensuit son agression, ayant la particularité de se dérouler avec en guise de fond une musique diégétique gaie, amorçant le ton orienté vers un humour noir qui se manifestera, bien que plus discrètement, par la suite – Peele étant humoriste à l’origine. La caricature du personnage racisé croise celle de l’introduction typique du slasher, et distille toute une ambiguïté quant à ce qui motive les ravisseurs. Il s’agit d’une piste formelle très classique dans les films d’horreur, dont les prémisses peuvent être situées à l’ère des premiers slashers, tels que ceux évoqués ci-dessus. Comme nous l’avons effleuré dans l’introduction, ce procédé, consistant à faire er un personnage anonyme dont la disparition est imminente pour le protagoniste, est un biais pour amorcer ce qu’un personnage lui étant en tout point semblable, le héros, est susceptible de connaître. L’effet ressenti par le spectateur est dès lors le décalage entre la terrible machination dont un personnage A est victime et par laquelle il va disparaître ipso facto, et celle, terrible de surcroît, à laquelle un personnage B va se retrouver confronté tout en réussissant à en déjouer les pièges. Par-delà, l’effet « Cela peut arriver à tout le monde » se tient sous la marque de la cocasserie, étant donné que ladite séquence se clôt sur un motif musical jazzy, pointe d’ironie rappelant que c’est sous l’exploitation des Noirs par les Blancs que naquirent les premières musiques afro-américaines. Cette ouverture tient aussi pour règle d’or le maintien d’ambiguïté autour de la figure antagonique et de ses motivations.

Le film divulgue par ailleurs un parallèle permanent entre l’usage de la musique et l’usage de la voix, qui fut, au début du parlant, « le seul son suffisamment esthétique pour contrebalancer les effets indésirables des limites techniques des équipements de prise de son ». Le spectateur baigne dans une ambiance fortement inspirée par la blaxploitation grâce à ce style musical qu’est le rhythm and blues, majoritairement présent, accompagnant les moments où la peau des personnages racisés est mise en avant : la découverte de Chris, le héros, et de sa fiancée Rose52 s’effectue sous une mélodie issue de ce style musical, au sein de l’appartement du couple. Cette scène est précédée par un itinéraire forestier sur lequel défile le générique, nous attribuant un effet de mouvement constant en direction de l’inconnu, l’allégorie des bois pouvant être perçue comme représentative du parcours qui attend le protagoniste. Tout juste après l’image de la voiture du ravisseur démarrant, le titre apparaît sur un plan mouvant de forêt : Get Out se traduisant par « Va-t’en », ou « Dégage », cette mise en scène peut se traduire comme une projection du spectateur dans l’instinct sauvage des hommes, c’est-à-dire, dans le caractère animal que ceux-ci peuvent atteindre lorsqu’ils font preuve de violence à l’encontre des leurs. La première apparition des deux jeunes gens s’effectue au prisme du miroir de salle de bain. Procédé récurrent afin de suggérer une lutte interne, comme lorsqu’un personnage se retrouve tiraillé entre deux de ses facettes, le miroir n’a d’autre ambition ici que de confronter les deux protagonistes à ce qu’ils sont : des corps noirs dans un environnement non-coloré – contrastant avec le reste de l’image majoritairement blanche. Il s’agit de l’une des premières manifestations d’un rapport de choix entre l’image et le son. L’alter ego du garçon se déploie dès sa première apparition, et le morceau entendu, instaurant une ambiance purement afro-américaine, fait l’écart avec cette société non-colorée, se proférant dans l’environnement dans lequel se tiendra majoritairement la suite. Après quelques minutes purement instrumentales, la musique se veut moins imposante, et les deux amoureux s’échangent leurs premiers mots ; Chris demande à sa fiancée – dans la version française – :

Alors, tu leur as dit que j’étais black ?

En plus de nous renvoyer subitement à la nature ethnique imposée au héros, engrenage phare de la suite des événements, cette réplique ose ne faire aucun mystère sur le caractère familier voulue par le film jusqu’à sa traduction. Mais est-ce que c’est le son qui rend service au personnage, le plaçant dans une atmosphère qui lui est familière, ou lui renvoie-t-il seulement à son image ? Ne souhaite-t-il pas justement, se détacher de sa nature en se mettant en couple avec une femme de type caucasienne ? Si Peele, par souci de susciter l’intérêt des spectateurs, n’expose pas précisément l’orientation idéologique de cette mise en scène, nous notons la clairvoyance engendrée par une situation aussi précaire ; on ne fait aucunement fi de la couleur de peau de Chris, ni de sa place au sein d’un groupe dont l’ethnie fait davantage partie des normes.

Plus psychologique que visuel, le film explore cette ambiance en plein cœur de son deuxième acte, c’est-à-dire à partir du moment où Chris a fait connaissance avec sa belle-famille. Effectivement, le moment suivant la première rencontre rompt avec ce qui s’est é précédemment afin de se concentrer sur l’itinéraire du personnage qui se transformera inconsciemment en quête de vérité dans l’ombre de sa nouvelle famille. La question de l’obscurité ret par ailleurs celle du miroir introduisant le jeune homme aux yeux du public, puisque tout au long de l’intrigue, il ne cesse de se questionner, et de questionner son entourage. La première séquence lui mettant la puce à l’oreille vis-à-vis de la terrible machination – dont il découvrira plus vite que prévue la vraie nature – se déroule de nuit, motif temporel récurent au cours duquel se déploient souvent les non-dits et les personnages marginaux, loin du regard des personnes ordinaires. C’est aussi le moment de la journée où seule l’ethnie à laquelle appartient Chris peut se cacher dans la plus grande discrétion. En l’occurrence, c’est le moment au cours duquel il constate les premiers faits et gestes anormaux effectués dans les alentours. Le Noir est ainsi perçu comme l’instrument interrogeant la nature d’autrui, l’alter ego de chaque personne qu’il suit, et l’œil indispensable au dévoilement de la vérité même la plus terrible. Cette démarche peut être considérée comme un anti-stéréotype, parce qu’elle met en avant les aptitudes du personnage racisé sous un angle mélioratif. Ce procédé est similaire à celui employé par l’ouverture d’Us, dans laquelle la petite Adelaide se perd dans le palais des glaces d’un parc d’attractions : elle se confronte à l’obscurité des lieux, ce qui renforce l’effet de terreur. Également, dans Get Out, les longues séquences de conversations se tenant dans la villa où habite la belle-famille et dans laquelle se tient une fête, aide à « [identifier le terrible complot] ». Elles ne sont pas sans rappeler la partie centrale de La Nuit des morts-vivants, présentée comme un huis-clos éloignant les vivants d’un monde en cours d’effondrement. Peele s’en inspire délibérément pour le discours critique porté par son premier film, tout en se voulant plus explicite. L’ultime point de vue révélateur du positionnement idéologique de cette suite d’événements se situe à la fin ; dans la séquence finale, Chris retrouve son ami Rodney, également de couleur et par ailleurs policier. Leurs ravisseurs viennent d’être neutralisés, et la fiancée de Chris épargnée, les deux hommes montent dans la voiture de police dans laquelle Rodney roule et partent. Le plan final met celle-ci en valeur et suggère que le statut de justicier dans l’histoire a bel et bien changé de camp, là où la fin alternative divulguait davantage une radicale soif de vengeance.

Candyman, reboot du film éponyme de Bernard Rose sorti en 1991 et faisant suite aux deux séquelles de celui-ci (Candyman 2 ; Bernard Rose, 1992, et Candyman 3 ; Turi Meyer, 1999), réalisé par Nia DaCosta et co-scénarisé et produit par Jordan Peele en 2021, s’inscrit dans la continuité des films antérieurs ici évoqués, non seulement pour son équipe technique et son casting quasi-entièrement afro-américain, mais surtout en raison des thématiques évoquées et du point de vue abordé : celui d’une cinéaste. Il s’agit de son deuxième long-métrage, s’inscrivant entre un premier film en marge de ces thématiques (Little Woods, 2018) et un troisième les convoquant en toile de fond (The Marvels, 2023). Une réalisatrice en marge des productions horrifiques se chargeant de remettre au goût du jour une histoire folklorique déjà adaptée à trois reprises ne peut que se démarquer de ses acolytes cinéastes en raison de cette dimension intersectionnelle. La femme est tout particulièrement mise à l’honneur dans la seconde moitié du corpus, puisque Candyman est l’unique film réalisé par une femme, tandis qu’Antebellum est le seul à mettre en scène une héroïne solo. Us et Candyman mettent respectivement en scène une famille, et un couple et un groupe d’amis, tous afro-américains. Le geste féministe d’Antebellum se traduit essentiellement par le choix des deux réalisateurs de se porter sur la personnalité de Veronica, l’héroïne, femme indépendante incarnée par Janelle Monae. Cette chanteuse et actrice est connue pour ses choix de rôles souvent engagés. Pour Candyman, DaCosta échange Helen Lyne (l’héroïne du film original) contre Anthony McCoy (Yahya Abdul-Mateen I) en guise de principal protagoniste et propose son point de vue de femme afro-américaine, en s’identifiant au personnage de la conte du héros, Anne-Marie (interprétée par Vanessa A. Williams), sûrement pour alléger l’ardeur de son propos.

La posture sociale de Get Out se rattache également à Candyman, prolongeant la posture de Jordan Peele, DaCosta trouvant en ce reboot l’occasion de ruminer la fin alternative de son premier long-métrage. La dimension sociale du film de NiaDaCosta se manifeste, tout particulièrement, à travers une certaine complaisance ressentie par les protagonistes à l’égard de la créature. Nous apprenons effectivement, dès le début de l’intrigue, que Helen Lyne a enquêté au sujet du Candyman longtemps avant eux ; cette séquelle vendue par un reboot ne fait ainsi nullement fi de l’expérience ée de la créature et demeure ainsi une suite, réactualisant le récit. Le Candyman demeure toujours Daniel, fils d’esclave, battu à mort et assassiné par un groupuscule raciste envoyé par le père de son amante en raison de la relation illégitime entre celle-ci et le jeune artiste. Sa mort fut provoquée à coup de piqûres d’abeilles débouchant sur la crémation du corps du défunt, est fut orchestrée autour de la couleur jaune, celle du feu et des abeilles60. Cette fin a été modifiée très peu de temps avant la finalisation du film puisque entre temps, Donald Trump est élu président des États-Unis. Le reste du film est également porté par cette atmosphère de hiérarchisation totale, tout en nous y faisant déceler un message en destination des plus aisés, en faisant néanmoins fi des vertus esthétiques à tendances géométriques convoquée par Bernard Rose dans le film de 1992. Dans celui-ci, cette valorisation visuelle de l’ethnie longtemps soumise à l’oppression, perceptible par cette opposition entre les quartiers où les légendes côtoient les inégalités, était mise en opposition avec l’aspect circulaire de l’environnement exploré par Helen. Au prisme d’un plan en particulier, le cercle la renvoie à l’effet de boucle répétitive où les races aisées s’en trouvent bloquées, dont elles ne puissent sortir. Ainsi, les privilégiés sont amenés à rester dans cet entre-soi. Cette créativité formelle témoigne d’un héritage notoire de l’expressionnisme allemand, genre qui se voulait foncièrement pessimiste et employant des formes simples pour symboliser les éléments aptes à porter un reflet idéologique ou représentatif d’une idée globale, notamment politique. Le remake de DaCosta se démarque par ses plans serrés, pour imager l’étroitesse de l’espace dans lequel les personnes racisées, et par l’usage, à plusieurs reprises, des ombres chinoises, ayant pour principal effet de neutraliser la nature des protagonistes du drame du Candyman. Une telle modification se justifie par une volonté d’éviter le pamphlet plaintif, indemnisant ainsi l’homme blanc dans la métamorphose de Daniel en Candyman. Ce film se démarque donc des trois autres en en citant pas explicitement l’homme blanc comme responsable d’un tel mal. Il se rapproche en revanche de Get Out pour son héroïsation de l’homme noir : une figure vertueuse dans le premier, et une image de justicier dans le second.

Par son égard fantastique portant une connotation sociale particulièrement accentuée à un certain point, Antebellum constitue un melting-pot des angles attaqués par Jordan Peele, mais y en convoquant une sorte d’historisation du récit d’angoisse, puisqu’il prend place dans un type d’univers parallèle où l’esclavage serait encore en usage. Au prisme de Veronica, se retrouvant face à l’abominable é auquel les personnes de son ethnie ont été confrontées, le film montre un point de vue actuel, en l’occurrence, en effaçant les bornes entre le temps de l’esclavage des noirs en Louisiane et l’époque contemporaine afin d’en extraire un parallèle des plus sordides.


B) Les discours ambivalents, lié à l’antagoniste ou au protagoniste

Les films du corpus ont pour principal argument de vente la nécessité de leur sujet, et leur bienséance face à des thématiques actuelles capables de s’adresser à la plus large partie du public. Pour cela, ils partent d’éléments formels classiques, aptes à être bouleversés pour affirmer leur singularité. La séquence d’ouverture de Get Out relève par exemple du réinvestissement d’une certaine idée du scénario de film d’horreur voué à un format précis. Après une séquence introductive sanguinolente amorçant l’essentiel du film, celui-ci procède à une rupture de ton visant à présenter aux spectateurs les personnages principaux, dans leur état on-ne-peut-plus naturel. Au début de Scream (Wes Craven, 1996), figure emblématique de la parodie de film d’horreur, nous découvrions le campus où se tient l’action principale et ses occupants qui constitueront les personnages principaux, après une ouverture jugée glaçante et amorçant suite de l’intrigue. Sans être pour autant une parodie, Get Out retranscrit une forme d’héritage direct des films auxquels le film de Craven rend directement hommage avec un brin d’humour noir. Le producteur, Sean McKittrick, a déclaré à ce sujet avoir eu « [affaire à un film d’horreur classique, dans la veine de […] Rosemary’s Baby ». Ainsi, d’autres clichés cinématographiques, tels que le chevreuil renversé au début du film et le héros frôlant la mort en partie en raison de l’absence sonore d’un de ses coéquipiers (en l’occurrence, Chris neutralisé par les hypnotiseurs appelant à l’aide à Rose, écoutant alors de la musique avec un casque) au cours du dénouement, sont retrouvés ici même pour créer un décalage entre l’aspect innovant du film et la volonté de s’inscrire dans le classicisme d’un genre populaire. Le discours s’oriente alors davantage vers les protagonistes, à qui le film semble envoyer des messages cachés pour les aider à envisager leurs malheurs à venir.

L’hybridation entre classicisme formel et propos radical – c’est-à-dire suffisamment explicite pour être définie – remonte à la première œuvre de Romero, mettant en scène une dualité classique mais formellement authentique entre l’homme blanc et l’homme non-blanc, par une démarche plus directe. Effectivement, dans La Nuit des morts-vivants, une poignée de séquences développent le traitement de la dualité classique entre l’homme blanc et l’homme non-blanc. Ben, le héros racisé, est à de nombreuses reprises sous-estimé par Harry Cooper, personnage incarnant la figure patriarcale blanche par excellence allégorisée par le comédien Karl Hardman. Il lui ferme la porte à clé au moment où une armée de morts-vivants intervient autour de la maison, le bloquant ainsi à l’extérieur, et le menace de le tuer avant d’être lui-même éliminé. La scène finale nous montre Ben, unique survivant de l’invasion, neutralisé et tué d’un coup de balle de fusil par la milice l’ayant pris pour un zombie. Si une lecture sociale du scénario n’est perceptible qu’au moment où on arrive au resserrement de l’intrigue, les caractères suggestifs opposant homme blanc et homme non-blanc se révèlent d’ors et déjà quasi-omniprésents, au point de contribuer au succès critique à ce film aux ambitions tout autre, comme nous l’avons évoqué précédemment. En outre, le cinéaste a confié, autant vis-à-vis de ce film-là que de ses séquelles Zombie : Le Crépuscule des morts-vivants (1978), ou encore Le Jour des morts-vivants (1985), que ses personnages de zombies n’ont jamais prétendu porter une valeur surnaturelle : il considère ainsi ses zombies comme des personnages comme les autres. Il leur octroie même une considération de cobaye, renforçant ainsi leur image de sujets assujettis autrefois reniée : « Je n’ai jamais pensé qu’ils étaient des zombies ; pour moi dans un premier temps, [c’]était des personnes vaudou à qui on aurait fait boire une potion, et qui sont devenus esclaves. Deux branches suivront cette filmographie de la part d’autres cinéastes : celle qui sera marquée par un virage comique pleinement assumé, et celle qui continuera la lancée romeroesque. Cette déconstruction a un impact sur considérable sur les figures classiques et voient naître des œuvres qui leur sont semblables en tout point, tandis que le spectateur se retrouve confronté à une allégorie du é (le sien ?) au prisme du zombie. C’est en cela que Peele se revendique directement de cette forme d’héritage ; dans le cadre de Get Out, cela transparaît dans le traitement réservé à l’affront noirs / blancs (qui, par analogie, reflètent respectivement le présent et le é). Lorsque Marc Rosmini, professeur agrégé de philosophie, aborde un tel traitement dans le cadre d’un essai sur le traitement cinématographique de la bioéthique, au prisme de tout un chapitre dédié au film, il décrit les rebondissements en des termes placés sous le prisme des différentes variantes de la notion de stéréotype : « Durant toute la première partie du film, alors que nous n’avons pas encore connaissance du projet d’appropriation du corps de Chris via le remplacement de son cerveau, le réalisateur égrène les clichés que certains Blancs projettent sur les Noirs : rapidité, agilité, prouesses sexuelles… Le corps noir est en même temps idéalisé, animalisé et, d’une certaine manière, réifié. Réduit à sa dimension somatique, le Noir est ici moins perçu en tant que personne que comme une machine particulièrement performante […]. ». Pour aboutir au résultat de l’esprit critique détonnant divulgué par le film, celui-ci commence par réinvestir des codes relevant du pur stéréotype, rappelant momentanément davantage les films d’esclavage que les films à contre-stéréotype comme La Nuit des morts-vivants. Par la suite, Rosmini décrit : « Dans la dernière partie du récit, alors que Chris est ligoté devant un écran de télévision, une petite vidéo donne la parole à Roman Armitage, qui est à l’origine de cette pratique de transplantation de cerveaux. Il explique pourquoi ce sont des Noirs qui en sont les victimes : « Vous avez été choisis pour la supériorité physique dont vous avez joui toute votre vie. Avec vos dons naturels et notre détermination, nous pourrions réaliser un grand projet qui touche à la perfection ». D’un côté la nature, les dons, l’animalité ; de l’autre la détermination, la pensée, le projet conscient. Subtilement, Peele dénonce la manière par laquelle tout un pan de la culture de masse réduit les Noirs – via le sport, la publicité, voire la danse – à des images, c’est-à-dire à leur simple dimension matérielle et visuelle. […] Et si ces Blancs participent collectivement à ce terrifiant projet sans exprimer la moindre culpabilité, c’est parce qu’au fond ils considèrent que les Noirs ne sont pas pleinement des sujets. ». Subitement, la direction du film s’avère altérée, et appartient dorénavant à l’anti-stéréotype, c’est-à-dire qu’il s’appuie essentiellement sur le principe de mettre en avant ce qui distingue les personnages non-blancs des personnages blancs afin d’en tirer une vision positive. En l’occurrence, Chris suscite la fascination de la famille de sa compagne, ce qui va faire de lui le cobaye d’une expérience cauchemardesque ; singulièrement, ce film traite du racisme anti-noir sous forme de justification approfondie, ne s’arrêtant pas ainsi à une simple question de différence ethnique. Au contraire, il est ici question d’une « race supérieure ». Rosmini agrémente son analyse scientifique en inscrivant le twist final au sein d’une dimension usurpatoire : « Le fait de voir par les yeux de Chris en le fera pas accéder à la vision du monde de ce dernier, qui lui est propre et qui est inséparablement intellectuelle et perceptive. », faisant ainsi référence au désir du personnage de Jim Hudson (interprété par Stephen Root), c’est-à-dire, s’approprier « le regard [que Chris] porte sur le monde ». L’écrivain poursuit ses observations par l’éloge de la double déconstruction formelle offerte par le traitement du racisme sous un angle philosophique : « […] Le film de Jordan Peele déconstruit donc en même temps la violence des préjugés racistes et celle d’une conception métaphysique qui découle la personne en deux entités, le corps et l’esprit. Descartes […] reconnaît lui-même que le rapport que nous entretenons avec notre corps n’est pas comparable à la relation entre un pilote et son navire. ». Il pointe en outre du doigt la couleur de peau comme l’élément moteur d’une vie. Peele, cinéaste afro-américain s’inscrivant dans une démarche artistique semblable à celle de Spike Lee, nous montre donc des hommes blancs jaloux des non-blancs. Si la franche radicalité du propos demeure audacieuse, d’autant qu’elle innove et dérange, c’est parce qu’elle convoque un parti-pris salué comme étant juste, subtil et sans doute délibérément grand-guignolesque dans sa résolution finale, à l’image des messages bien-pensants que Peele s’est justement abstenu de convoquer, contribuant à l’âme du long-métrage se voulant ironique. Le plot twist, s’inscrivant comme évoqué plus haut en tant qu’anti-stéréotype, est aussi un ressort propice à convoquer une toute autre discipline appartenant à la construction sociale : les sciences. La partie révélatrice du film réexploite en effet le stéréotype du noir cobaye, ou autrement dit, instrument d’une expérience humaine. L’idée convoquée par Peele évoque l’échange de cerveaux entre deux individus de couleur différente en continuant à les opposer indubitablement ; en exposant aussi explicitement la supposée supériorité du cerveau du Noir par rapport à celui du Blanc, l’intrigue met en exergue la confusion impossible entre les deux races en construisant ce twist comme un éloge mesuré vis-à-vis de l’ethnie noire. Cette opposition s’exprime par ailleurs dans l’ironique déploiement de la police : tandis que Chris est en possession de Rose et hésite à la tuer, l’intéressée se retrouve au cours de quelques secondes dans la peau de la victime, et Chris dans celle du criminel. Quelques instants après, une voiture policière arrive et le spectateur a l’impression que le présumé coupable va être embarqué en tant que détenu, et non en tant qu’allié. Le stéréotype du noir accusé à tort par des agents de police sans pitié se retrouve altéré en liaison amicale entre le présumé accusé et le représentant de la justice, amitié qui serait un objet de longue date.


En somme, Get Out, classique dans son propos et authentique dans sa démarche, a pour autre mérite de s’écarter de la « slasherisation » du cinéma horrifique américain, marque une nette différence de format scénaristique entre un La Nuit des morts-vivants et un Candyman. Le deuxième film du cinéaste, Us, se réapproprie partiellement les codes du slasher et aboutit sur un traitement plus original encore de notre sujet. Cette déconstruction du genre se voit limitée, paradoxalement, par le caractère extra-innovant de ces réalisations. Elle présumerait ainsi davantage le développement d’un nouveau genre plutôt que de suivre la lancée d’un genre fortement antérieur. Au sein des films du corpus, les minorités raciales nous sont montrées comme étant plus affirmées que jamais par le simple fait qu’elles sont à la tête de ces quatre projets, qu’elles en sont les héroïnes et qu’elles se permettent de bouleverser les codes et formes de l’horreur. En cela, ces films s’appuient particulièrement sur ce que le public avait tendance à voir avant. Effectivement, au-delà d’un classique affront entre deux ethnies, l’un des enjeux majeurs des longs-métrages dont il est question ici est de mettre en avant sous un jour nouveau ses protagonistes. Ils ont pour vecteur commun d’être enfants issus de l’immigration, de les placer dans une situation désavantageuse et de suivre minutieusement leurs faits et gestes au sein d’un espace qui leur est étranger – du moins, au premier abord. Si la façon dont les origines ethniques des personnages peut relever du non-stéréotype (comme dans La Nuit des morts-vivants, puisque le personnage de Ben quoique très présent, ne fait parler de sa couleur de peau à aucun moment), elle intègre plus aisément l’anti-stéréotype, puisque c’est leur statut même de minorité raciale qui font d’eux l’objet d’observations principal et sans que cela ne soit explicité dans les dialogues du film. Ce phénomène atteint également les personnages à portée fantaisiste. Pour brièvement revenir sur le zombie, il est à l’image même des codes retravaillés, reconfigurés de décennie en décennie, afin de non seulement surprendre une plus vaste vague de spectateurs, mais aussi et surtout, pour assurer plusieurs vies pour un seul et même personnage. D’un auteur, d’un univers à l’autre, il se retrouve remodelé, autant au niveau de son esthétique (en parallèle, le travail sur les maquillages a bien-sûr évolué), que de sa gestuelle et de sa portée symbolique. Une certaine idée de la portée transgressive de ces personnages fut formulée de la sorte : « Le zombie, autrefois [vu] comme esclave de l’homme, est aujourd’hui libéré de sa mainmise, et les rapports se sont même inversés, l’homme est devenu la proie du zombie, et doit désormais en avoir peur ». D’un point de vue social, entre le film Vaudou (Jacques Tourneur, 1943) et celui de Romero en 1968, les choses ont radicalement évolué ; quid des zombies portant le fardeau d’une communauté en particulier ? Depuis des décennies, les attentes du public et les objectifs souhaités par les cinéastes ont évolué, s’adapter à « l’air du temps », trouver des réponses complexes à des questions de société – de plus en plus – complexes. Aux États-Unis, dans les années 50 et 60, de grands personnages tels que Rosa Parks, Malcolm X ou autre Martin Luther King sont devenus des emblèmes dans la lutte contre la ségrégation à l’encontre des afro-américains (et plus encore) ; entre les deux films précédemment évoqués, que vingt-cinq ans séparent, on note un écart non-négligeable dans la démarche de considération des personnages issues de minorité raciale. Il en est de même entre La Nuit des morts-vivants et Get Out, sortis à quarante-neuf ans d’intervalle et se complétant par le boniment promotionnel de l’un et la plus grande sincérité de l’autre. Conséquemment, les codes du genre s’en trouvent altérés, certains cinéastes prenant un malin plaisir à faire perdre au spectateur ses repères, et certains rôles s’inversent.

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Angeldelinfierno

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