Broken Rage est assurément le film le plus personnel de Takeshi Kitano depuis son magnifique autoportrait Achille et la Tortue (2008).
Sauf que cette fois, sans doute avec la sagesse de l’âge et un esprit torturé enfin apaisé par les années, il parvient à rire franchement de son statut d’artiste, plutôt que de le teinter de mélancolie (quoique) ou de le mener à une forme de « suicide » comme par le é.
ATTENTION SPOILER ALERT :
Que raconte Broken Rage, au fond ? L’histoire d’un homme qui tue contre de l’argent, avec un certain soin et, semble-t-il, un certain plaisir. En somme, une résonance avec les débuts cinématographiques de Takeshi Kitano en tant que réalisateur, lorsqu’il avait dû remplacer Kinji Fukasaku au pied levé pour Violent Cop, avant de pouvoir travailler plus sereinement et enchaîner les chefs-d’œuvre Sonatine (1993), Hana-Bi (1997) et L’Été de Kikujiro (1999). Toujours sous l’égide de producteurs, certes, mais avec une relative liberté artistique.
Et le voilà cueilli par les critiques et les studios commanditaires, comme une petite cerise sur le gâteau, après sa trilogie la plus personnelle, mais aussi la plus audacieuse et risquée : Takeshis' (2005), Glory to the Filmmaker! (2007) et Achille et la Tortue (2008). Il a rempli son rôle, mais avec un léger « faux-pas » : il a oublié un détail essentiel — l’existence de ce sbire tapi dans le sauna, ou plutôt du producteur en attente d’un retour sur investissement.
Kitano se fait ainsi « attraper ». A quoi faire quoi ? A ce qu’il sait faire de mieux, pardi : signer des polars. Et Kinato s’exécute. Lui, qui n’avait jamais tourné de séquelles, même pour ses plus grands succès, il va appliquer les ordres de ses producteur « supérieurs » à la lettre en signant Outrage 1, 2 & 3 (2010, 2012 & 2017). De manière pro, efficace, car il sait bien faire…mais en organisant son propre « suicide artistique ».
Mais une fois la tâche accomplie, que fait-il ? Il demande : « C’est bon, on est quittes ? ».
Et c’est là que s’arrête la première partie de Broken Rage. C’est aussi là qu’apparaît le « second Kitano » : l’amuseur, le trublion, le punk. Il interrompt son propre film par un « intermède », un grand blanc artistique, matérialisé par un écran noir, avant de reprendre exactement la même histoire, mais sous un tout autre angle : celui de l’amusement. Kitano devient à la fois l’amuseur et le bouffon, jonglant entre l’humour le plus subtil et les gags les plus potaches. Il dynamite une nouvelle fois les attentes, aussi bien celles d’un public en quête d’un « énième polar à la Kitano » que celles de ceux qui attendaient, tout autant, son humour ravageur du « Kitano de la télévision ».
Kitano signe assurément son œuvre la plus réfléchie, à la fois totalement bipolaire et profondément personnelle.
Et il termine tout de même sur une note mélancolique, façon slapstick. Une troisième et ultime fin. Une chute avant même d’atteindre la porte. Mais cette fois, il ne se relève pas.
L’attente du public aura finalement eu raison de Kitano — de l’artiste, mais aussi de l’homme. Aura-t-il encore envie de se relever artistiquement. Et si oui, sous quelle forme ?
Broken Rage. Personnellement, je le pense trop punk pour ne plus avoir envie de nous jouer d'autres tours (de force) et préparer d'autres farces...