À une époque où l'ombre de Kentaro Miura et de son Berserk continue de planer sur la dark fantasy et où l'esthétique des jeux From Software a redéfini les attentes en matière de d’ambiance sombres et cryptiques, comment une nouvelle œuvre peut-elle encore se frayer un chemin original dans cet univers visuel si codifié ?
C'est précisément le défi que relève Plastiboo avec Vermis, enfin paru aux éditions Huber. Un projet protéiforme, se présentant moins comme un récit que comme un artefact exhumé, un guide parcellaire d'un monde en décomposition dont le sous-titre, Donjons oubliés et Alliances interdites, annonce d'emblée la couleur : un mélange troublant de fantasy macabre et de décadence assumée. Loin de se contenter de singer ses maîtres, cet ouvrage aspire à distiller sa propre essence de fantasy, pour un résultat mêlant fanzine et guide de jeu vidéo rétro.
Dans Vermis, ce qui frappe tout de suite, c'est son énergie visuelle, chaque hachure, chaque pixel... semblent graver la corrosion du temps sur le métal des armures et la pierre des ruines. La palette chromatique, aussi limitée que percutante – ce rose lancinant confronté aux noirs profonds, cette texture granuleuse évoquant des techniques d'impression alternatives – confère à l'ensemble une aura unique, à la fois archaïque et étrangement moderne, comme perdu dans les vestiges d'un récit oublié. L'artiste ne se contente pas de dessiner un monde ; il en matérialise la substance même, palpable et suffocante. D'abord initié à un univers de fantasy en déliquescence, à ses dieux, personnages et classes, on entame ensuite une balade étrange dans une atmosphère angoissante où chaque recoin semble être une invitation à la folie et à la mort.
Mais Vermis est bien plus qu'une simple prouesse graphique, puisqu'il se révèle être une sorte de réflexion sur la nature même du world-building et de la transmission du savoir dans un univers condamné. Au travers du récit fragmenté de notre personnage principal, Plastiboo nous invite à une archéologie parcellaire d'un savoir maudit, nous faisant feuilleter les pages comme on déchiffre les fragments d'une civilisation oubliée. Chaque créature, chaque pièce d'équipement, chaque bribe de texte est une invitation à combler les vides, à tisser soi-même les liens d'un récit volontairement elliptique et mystérieux. L'œuvre demande un engagement, une immersion active qui récompense par l'évocation plutôt que par l'explication, comme l'ont très bien fait les jeux From Software.
Car, au-delà des chevaliers torturés et des monstruosités indicibles qui peuplent ses pages, réside le cœur véritable de Vermis : une fascination pour le non-dit, pour la beauté sombre qui émane des ruines et de l'incompréhensible. C'est cette atmosphère oppressante de mélancolie, ce sentiment d'explorer les vestiges d'une histoire trop vaste et trop terrible pour être entièrement saisie, que Plastiboo capture avec une maîtrise déconcertante, pour y déployer son panthéon de créatures maudites.
Vermis se hisse bien au-dessus de la simple relecture d'influences. En embrassant pleinement son héritage tout en forgeant une identité visuelle et conceptuelle singulière, Plastiboo livre une œuvre grisante, un manuel apocryphe qui rappelle nos parties les plus enfiévrées de Dark Souls, Legacy Of Kain, Diablo, Baldur's Gate et j'en e. Du world-building... érigé en art. Bienvenue dans Vermis.