Avec Tom Strong, Alan Moore rend un hommage vibrant et malicieux aux pulps et aux comics d’aventure du Golden Age. Publiée sous le label America’s Best Comics à la fin des années 90, cette série détonne dans la bibliographie souvent sombre et métaphysique de Moore. Ici, c'est la jubilation du récit pulp, de la science débridée et de l’aventure à l’ancienne, réinventée pour un public moderne.
Le personnage de Tom Strong, super-héros à la longévité hors norme et à l’intellect surhumain, est une figure inspirée autant de Doc Savage que des premiers Superman et Tarzan. Élevé dans un environnement sous haute gravité et nourri de racines mystiques (le fameux goloka root), Tom incarne à la fois la tradition du héros moral et la modernité du héros réflexif.
Là où Tom Strong se démarque, c’est dans sa structure anthologique. Chaque numéro (ou presque) est une histoire indépendante, dans laquelle Moore explore des styles et des tons variés : aventures interdimensionnelles, science-fiction rétro, satire sociale, hommage aux comics SF des années 50, récits de mondes parallèles... C’est un laboratoire narratif et graphique où Moore et ses collaborateurs (Chris Sprouse en tête) s’amusent à tordre les conventions tout en rendant hommage aux récits d’aventure classiques.
Graphiquement, Chris Sprouse livre un travail impeccable : un dessin clair, élégant et dynamique qui capte parfaitement l’esprit des vieux pulps tout en restant contemporain. Les couleurs acidulées et les designs inventifs donnent à l’ensemble un charme rétro-futuriste irrésistible.
Enfin, derrière cette façade d’aventure joyeuse, Tom Strong cache la patte Moore : une réflexion sous-jacente sur l’évolution des mythes héroïques, le poids des héritages, la famille et la condition humaine face à la science et au temps. C'est une lecture à la fois légère et profonde, distrayante et intelligente.