Silence
7.9
Silence

BD franco-belge de Didier Comès (1980)

Le silence est d'or

Il doit avoir une trentaine d’année, il est au service d’Abel Mauvy, dit « Le maître » dans une ferme ardennaise (en Belgique semble-t-il) située dans un village nommé Beausonge. Il est hirsute, simple d’esprit et muet de naissance. Son visage est peu avenant, avec entre autres des yeux de serpent. Quand il a besoin de s’exprimer, il trace quelques mots en phonétique à l’aide d’une craie blanche sur une petite ardoise. Première planche « je mappel silence é je sui genti. » Il tient le rôle d’idiot du village, cible des moqueries des plus jeunes. Ses vrais amis sont les animaux, comme les vipères et les renards.

A Beausonge, les animaux on les élève, à l’occasion on cloue une chouette sur une porte de grange, pour conjurer un mauvais sort. Mauvy élève des porcs. Il en a le physique : fort, épaules larges etc. Mauvy est un client habituel de « La mouche » le sorcier le plus redouté du coin. Il le consulte par exemple pour des maux de tête ou de ventre.

Beausonge traine un é bien sombre dont le lecteur va découvrir progressivement les ramifications en même temps qu’un drame va se jouer. Un peu à l’écart, dans une misérable bicoque, vit une femme dénommée « La sorcière ». Une femme solitaire et aveugle qui se cache derrière des lunettes noires et qui rumine des projets de vengeance. Comme « La mouche », celle-ci a d’étranges pouvoirs dont elle use pour tenter de parvenir à ses fins.

Le hasard et la curiosité (le destin ?) vont guider Silence vers une grange où il n’aurait jamais dû mettre les pieds. Il va ainsi comprendre ses origines douloureuses et prendre sa place dans un engrenage inéluctable.

Ce one-shot de Dieter Herman Comès fut la révélation d’un talent et d’une personnalité hors du commun : influences belge et allemande. Album de 150 pages dans un noir et blanc d’une grande élégance. Un goût pour le fantastique et la magie, ainsi qu’une capacité à créer des atmosphères étranges, avec des personnages parfois seulement esquissés, comme Abel Mauvy sur la première vignette où il apparaît. D’ailleurs, sa chevelure est généralement dessinée en 12-15 traits maximum. Quelques planches sont d’une élégance fabuleuse, comme aux pages 67-89-104-109-153 notamment. Quelques dessins allongés dans le sens de la largeur également, pages 68-70-92-104-121.

Les planches comprennent toutes 4 rangées de vignettes, avec de 1 à 5 vignettes par rangée. Aucun dessin de plus d’un quart de page. La narration chronologique est cassée par quelques flashbacks qui permettent de comprendre progressivement quelques points importants. Certaines transitions d’une planche à l’autre sont aussi surprenantes qu’habiles, en particulier pages 37-38 avec le visage de Mauvy déformé. Les visages ! C’est ce qui frappe le plus ici. Beaucoup de trognes incroyables, de Mauvy à « La mouche » en ant par des paysans et le médecin. Visages parfois déformés par la surprise, la peur, la haine, l’amour aussi. Comès se contente parfois de silhouettes, mais tellement expressives qu’on se dit qu’il n’en fallait pas davantage.

L’histoire présente l’ambiance dans une campagne reculée. Entre é malsain et folie ambiante, le lecteur va de surprise en surprise avec effarement. Confrontation avec le monde de la justice, l’univers carcéral et celui du cirque, le tout vu par un simplet. L’univers de Comès est très marquant. Ce serait un chef d’œuvre si Mauvy n’était pas si mauvais et Silence si gentil : un peu manichéen. Quant à la fin, c’est à la fois un déchirement et d’une telle beauté dans le dessin qu’on reprend de toute façon l’album pour ses qualités esthétiques, narratives et l’originalité de son univers.

Comès a réalisé d’autres albums dans la même veine, comme « Eva » et « La belette ». A chaque fois le dessin est plus abouti, mais l’histoire n’est jamais aussi marquante que dans celui-ci.
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le 30 oct. 2012

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Electron

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