Quand le carnet de dessin devient une enquête gothique

Avec Moi, ce que j’aime, c’est les monstres (2017), Emil Ferris nous offre un premier tome aussi monumental qu’atypique, une plongée dans l’esprit d’une jeune fille fascinée par les monstres, la marginalité, et les secrets qui rôdent dans son quartier. À mi-chemin entre roman graphique, journal intime et enquête poético-horrifique, cet album est une déclaration d’amour à la monstruosité sous toutes ses formes.


L’histoire est racontée par Karen Reyes, une enfant singulièrement attachante qui se voit comme une petite détective loup-garou. Fascinée par les monstres et les films d’horreur, elle enquête sur la mort mystérieuse de sa voisine Anka, tout en naviguant dans un Chicago des années 60 où la violence sociale et les non-dits sont omniprésents. Ce mélange de polar, de drame familial, et de réflexion sur la différence donne à l’album une profondeur inattendue.


Karen, en tant que narratrice, est le cœur vibrant de l’histoire. Son regard candide mais incisif, son humour mordant, et sa sensibilité exacerbée en font une héroïne inoubliable. À travers ses yeux, les monstres ne sont pas effrayants : ils sont fascinants, émouvants, et souvent bien moins terrifiants que les vrais humains.


Visuellement, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est un chef-d’œuvre. Chaque page, dessinée comme si elle sortait directement d’un carnet de croquis, regorge de détails stupéfiants. Le style au stylo-bille d’Emil Ferris est à la fois brut et raffiné, oscillant entre réalisme poignant et fantasmagorie débridée. Les illustrations, qu’il s’agisse de portraits, de scènes oniriques ou de recréations d’affiches de films, sont imprégnées d’une intensité qui hypnotise.


Narrativement, l’album est dense et ambitieux. L’intrigue principale – la mort d’Anka – s’entrelace avec des récits secondaires, des flashbacks, et des explorations thématiques sur l’identité, l’histoire, et la culture pop. Ce foisonnement peut parfois perdre le lecteur, mais il fait aussi la richesse de l’œuvre. C’est un labyrinthe narratif où chaque détour révèle une nouvelle pépite.


Le seul léger bémol réside dans cette complexité même. La densité des informations et la multiplicité des styles narratifs peuvent rendre la lecture exigeante, surtout pour ceux qui préfèrent une structure plus linéaire. Mais pour ceux qui aiment s’immerger dans une œuvre riche et immersive, c’est un véritable trésor.


L’humour noir, omniprésent, équilibre parfaitement les thèmes graves abordés, qu’il s’agisse de l’intolérance, de la mort, ou des traumatismes historiques. Cette dualité entre légèreté et gravité donne à l’album une dimension profondément humaine.


En résumé, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est une œuvre magistrale, où Emil Ferris transforme un carnet d’enfant en un tableau vibrant de la complexité humaine. Avec un style visuel unique, une héroïne inoubliable, et une narration audacieuse, cet album est un voyage fascinant dans l’âme humaine et ses monstres. Un chef-d’œuvre gothique et coloré, où chaque page hurle : "Ne jugez jamais un monstre à son apparence".

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures BD de 2017

Créée

le 23 déc. 2024

Critique lue 8 fois

1 j'aime

CinephageAiguise

Écrit par

Critique lue 8 fois

1

D'autres avis sur Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, tome 1

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, tome 1
10

Sans les monstres, la vie serait bien fadasse

Chicago, 1968. La jeune Karen Reyes, 10 ans, s’imagine en loup-garou. D’ailleurs, autour d’elle, elle ne voit quasiment que des monstres. Sa meilleure amie est un vampire, et son frère bien-aimé est...

Par

le 9 sept. 2019

27 j'aime

10

Du même critique

Quand Astérix et Obélix découvrent Lutèce

Avec La Serpe d’or (1962), René Goscinny et Albert Uderzo emmènent Astérix et Obélix dans leur première grande aventure hors du village, direction Lutèce. L’occasion de découvrir que les Gaulois ne...

le 20 déc. 2024

6 j'aime

Quand être un agent secret signifie survivre à un scénario en roue libre

Si Agents of S.H.I.E.L.D. était une mission, ce serait un plan hyper élaboré qui tourne mal dès la première minute… mais que tout le monde continue comme si de rien n'était.Le concept est censé être...

le 20 mars 2025

4 j'aime

3