"Qu'est-ce que l'art ?" est une question qui m'a toujours semblé moins intéressante que "Pourquoi l'art ?". Autant on peut tenter de répondre à la première en faisant preuve d'esprit analytique, ce qui promet toujours une belle balade, quoiqu'assez vaine malheureusement, car on se heurte toujours à la question du relativisme, de l'époque, des mœurs, de la société, etc. tant et si bien qu'on finit par vouloir plutôt répondre à la meilleure question qu'est celle du "Pourquoi ?". Celle-ci se divise naturellement en deux partie: "Pourquoi créer de l'art ?" et "Pourquoi lire, pourquoi jouer, pourquoi écouter, pourquoi regarder ?". Tenter de répondre à ces questions, c'est interroger, à mon sens, ce qui fait de nous des êtres humains, c'est un écho du vertige Leibnizien provoqué par le "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" (promis j'arrête d'être chiant après).
Bref, j'aime quand une oeuvre transpire la nécessité de son ou ses auteur.ice.s à créer, quand elle apparait avec une évidence telle qu'elle en irradie d'émotions celui qui la reçoit. Il est même courant que l'émotion à l'origine de l'oeuvre soit différente de celle que cherche à nous transmettre l'oeuvre.
Quant au "Pourquoi lire ?", chacun est libre de sa réponse, c'est toujours un voyage introspectif ionnant.
Le Dark Souls des manga
Instinct est une oeuvre de jeunesse, narrativement et techniquement. Pas grave, on sait que les premières productions sont généralement les plus sincères, les plus imbibées de cette nécessité à créer dont je parlais plus tôt. Mais, peut-on vraiment parler de coup d'essai pour un Inoxtag dont la carrière est déjà bien remplie, dont le succès est indéniable et qui, on peut le dire, a déjà atteint son prime, chacal ?
Reconnaissons tout de même à Instinct certains écueils de première oeuvre qui font son charme : le scénario est très premier degré, voire carrément émo, voire dark Sasuke-core, ce qui l'empêche un peu de décoller, car il reste à un niveau constant de noirceur. Le personnage principal est complètement archétypal, comme il se doit dans tout bon shônen, ce qui n'est pas nécessairement un défaut, à condition d'amener un peu d'originalité d'une façon ou d'une autre. Le dessin est imparfait, avec une vision assez personnelle de la perspective, les chara designs sont parfois approximatifs, et l'esthétique globale est finalement assez banale.
Espérons que les tomes suivants nous donnerons plus de relief.
Entre tradition et modernité
Je dois bien avouer ne pas être le plus grand fan de ce qu'on appelle manfra, les manga français. Je n'ai que vaguement entendu parlé de Radiant, et je serai bien incapable de citer un nom d'auteur français. Alors, faut-il gatekeep le manga ? Doit-il rester un medium purement japonais ? Peut-on parler d'appropriation culturelle ? Il me semble que la réponse est non : j'aime bien que la tradition BD française, combinée à notre matrixage total pour le Japon, permette la création de nouvelles oeuvres telle que celle-ci, ou d'autres dans le futur. De plus, soyons honnêtes, il y a certainement un intérêt commercial qui a poussé les auteurs à se tourner vers le manga plutôt que l'austère roman graphique ou l'éculée bande dessinée jeunesse. Pour autant, il serait malhonnête de ne pas reconnaître la ion sincère des auteurs pour leurs inspirations. Si Instinct n'avait pas été un manga, il aurait été une BD fortement inspirée du manga - ce qui n'est pas un reproche.
Thanks for playing
Instinct, comme vous l'avez compris, est dispensable. C'est une oeuvre dérivative, qui peine à être "its own thing", et donc qui ne m'a pas touchée. Je pense qu'au-dessus de tout, ce qui m'a gêné, c'est l'absence totale d'humour (je pense qu'on peut compter 1 blague dans tout le tome), alors que, ni le genre manga, ni les auteurs ne sont connus pour leur avarice en blagounettes. J'imagine qu'avec un culte comme le sien, Inoxtag aura droit à une seconde chance, d'autant qu'Instinct est en tête des ventes dès sa sortie et bat tous les records en terme de manga français. Cependant, vu que le rythme de publication n'a pas l'air effréné, cela laissera peut-être le temps aux auteurs de prendre du recul sur leur production et de rectifier le tir pour la suite.