Quel grand cru que voilà. Quelque peu ranci par la puanteur des poncifs antiques, je vous l’accorde, mais une piquette, ça se savoure enfin. Car à défaut de grives... vous allez vous faner le conte navrant des criminels au grand cœur, édition #20328.
Au programme, gentils meurtriers, assassins sympathiques, aimables proxénètes ; on se demanderait presque, les voir en scène, pour quelle raison mal fondée, tous ces braves gens sont du mauvais côté de la loi. Ils font ce qu’ils font… ce n’est parfois ni très propre ni très honnête… mais accompli de bonne foi, avec les meilleures intentions qui soient.
Attention mes bons enfants, y’a les « lois de la rue », et celles-ci, qui ont malencontreusement omise d’êtres posées sur papier, stipulent très distinctement qu’on ne malmène pas ces dames. Ah non, mes bons. Une femme, il est ici permis de la mettre sur la rue afin qu’elle soit prostituée et qu’une partie de sa solde soit prélevée ; mais il faut le faire gentiment. C’est l’usage.
Tout cela est d’une telle connerie qu’on souhaite connaître la suite du programme pour la seule finalité de voir jusqu’où ira cette morale bancale. Voyous… mais pas trop… les mijaurées du vice, en assemblée plénière, viennent ici vous exposer leurs méfaits tout en vous gratifiant, d’un même revers de malfaisance, de leur catéchisme pontifiant et sermonneur pour sans cesse redessiner la ligne du tolérable dans le monde du crime. J’ai connu des bonnes sœur moins à cheval sur le sermon ; moins hypocrites en tout cas.
Car l’œuvre, comme toutes celles mettant en scènes des salauds objectifs venus se donner des grands airs et s’investir de missions vertueuses, est d’une tartuferie sans nom. Ou si, de nom, elle en a un : Gangsta.
Soit dit en ant, je n’ai certes pas été diplômé de l’école du crime avec mention, ayant toutefois quelques intuitions, je me doute quelque peu de ce que serait en réalité le sort de criminels – même « à la cool » – si l’on apercevait trop ceux-ci discuter ouvertement avec un flic qui leur adressait des missions.
Donc nos mercenaires de protagonistes viennent nous bassiner avec du City Hunter supposément plus sanguinolent, mais autrement moins intéressant. Ils ont déjà quelque décennies de retard tant le registre, même décliné en maints et vains s, a été élimé. Ajoutez à cela que nous avons pour protagonistes des éphèbes mal assumés, se contorsionnant et se complaisant des poses de gravure de mode, cela entre deux équarrissages vertueux, vous a autant que l’est la ritournelle qu’on vous joue.
Pareille composition, j’ignore déjà pour quelle raison on la lit, mais j’ignore encore mieux pour quoi on l’écrit et la dessine. Moi qui, naïf et pur même après toutes ces années à écumer le lisier à la main, pensait que la création artistique ait d’abord par une phase d’inspiration.
D’inspiration il n’y a point, car toute ébauche de scénario expire avant d’accoucher sur le papier. On nous agite alors frénétiquement la fausse-couche pour le spectacle en espérant mimer un semblant de vie. C’est non seulement stérile, mais en plus malvenu.
Warrick est gigolo, entre deux fusillades rétribuées grassement, et il a pour clientes des demoiselles pimpantes, amène et délicates. Car c’est bien connu, les filles avec de l’éducation et une plastique de rêve ont besoin de faire appel à des prostitués pour avoir droit à leur lot de cajoleries. Il se peut que certains parmi les lecteurs, notamment ceux qui ne se sont jamais mis la tête dans un micro-ondes, aient des doutes quant au postulat qu’on nous présente. Oui… oui… y’a de quoi de en avoir. Il faut avoir lu Shamo pour s’en persuader.
Mauvais esprit que je suis, à assimiler la notion de crime au sordide. Ne savez vous donc pas que la criminalité, c’est glamour ? En tout cas, c’est ce que j’ai retenu de ma lecture.
Vous l’ai-je précisé. J’ai omis ? Il faut dire que cela va tant de soi que j’imaginais que vous l’aviez deviné. Notre duo de protagonistes… voyez-vous… ils ont eu une enfance difficile. Ah si, du tragique tapissé partout dans la mémoire. L’une de leurs poses préférées étant de prendre un air concerné, abattu, quoi que faussement digne, lorsqu’ils se remémorent sans cesse leur enfance laborieuse.
Golgo 13 ne s’est jamais donné tant de mal et ne ressortait que plus consistant des histoires dont il était un protagonistes crédibles et engageant.
À force de me dire que tout ce rendu, là, était très féminin dans le principe, avec cette vision déformée, naïve et finalement sirupeuse du monde du crime, je me suis alors rué sur un moteur de recherche afin de compléter mes lacunes. Oh surprise – ou pas vraiment – je découvris que Koshke, notre auteur, n’avait pas l’ombre d’un chromosome Y dans le patrimoine génétique. Je dis pas que des femmes savent pas dessiner le gras et l’infect pour ce qu’il est ; car ça oui, y’en a, mais à titre d’exception. Du reste, ces messieurs de la profession ne visent guère au-delà. Il n’empêche que tout ça sent l’œstrogène à vous en faire jaillir un fond d’estomac.
L’action est tapageuse, avec option lycéenne femme-forte en uniforme, s’il vous plaît, l’action houleuse et mal amenée ; perpétuellement agitée pour suggérer l’animation du néant. Les guerres de gangs, spécieuses et qu’on voit venir à quelques centaines de kilomètres au moins, ne présentent aucune forme de subtilité dans les rapports diplomatiques entre factions. Qui veut savoir à quoi ressemble une guerre informelle de l’ordre d’un conflit criminel aille lire l’intrigue de l’arc des Princes de Kakin. De la graine, y’a à foison pour en prendre à pleine main.
Alors, que je vous flèche le chemin après que l’auteur m’ait facilité le travail : les gentils, ils sont beaux. C’est ainsi. Les méchants quant à eux… ils le sont moins, avec des grosses gueules grotesques. Et ils sont bêtes aussi. Important, ça.
Ah le paysage engageant qu’on a là. On s’en voudrait presque de er à côté sans y regarder à deux fois.
Quelle farce. C’est consternant de niaiserie. Gangsta est ce à quoi ressemblerait un Shôjo si on y jetait des flingues. Soutenir le contraire, c’est ne pas avoir lu le même manga.
On ne sait plus trop, à force, qui de Sakamoto Days ou Gangsta a copié sur l’autre ; on pardonnera cependant plus aisément au premier d’être si bas de gamme du fait qu’il soit un Shônen. Le second n’aura guère droit à tant de mansuétude de la part d’un lectorat venu le lire les yeux ouvert.
Défiez-vous de ces créations venues s’emparer de l’esthétique seulement d’une thématique donnée pour y broder derrière de vilains dessins sans histoire. Un peu à la manière de ces fainéants qui, pour « faire fantaisie », vous balancent ici et là des créatures convenues dans un paysage faussement médiéval – je ne vise personne – Koshke se saisit d’une idée très sommaire qu’elle se ferait du milieu du crime pour nous fourrer dedans tout le répertoire Shônen, ajoutant un peu de sang ou que sais-je pour justifier de paraître comme Seinen. Finalement, le plus criminel de ce que nous relate Gangsta n’est pas son contenu, mais encore la manière ridicule dont on nous le rapporte.