Vague à Larmes

Avec bon sens et pragmatisme ma maman m'avait dit un jour que si l'on avait un poids ou un mal qui nous pesait sur le cœur ou l'esprit c'était comme si l'on avait manger quelque chose de mauvais, il fallait que ça sorte, peu importe de quel côté d'ailleurs, sinon on gardait pour toujours le mal tout au fond de soit. Une définition comme une autre du processus cathartique visant à soulager par l'expression les douleurs et traumatisme qui rongent les esprits. Corinne Rey dites Coco a vécue de l'intérieur les attentats du 07 janvier 2015 et pour cause elle était présente à la rédaction du journal ce jour là et c'est elle qui sous la menace des frères Kouachi a ouvert la porte aux terroristes. Comment se reconstruire après un tel traumatisme mêlé de culpabilité, peut être tout simplement en continuant à faire ce qui aura provoqué la mort des autres: vivre, aimer, rire, s'engager et dessiner ce que fait merveilleusement bien Coco avec ce très beau et touchant roman graphique Dessiner Encore.

A travers les 350 pages de Dessiner Encore, Coco va donc nous raconter les difficiles reconstructions post-traumatiques qu'elle devra traverser, les thérapies plus ou moins pertinentes et le récit glaçant de ce triste jour de janvier tout en le remettant en perspective avec l'avant et l'après Charlie. Comme un leitmotiv , un triste refrain reviendra régulièrement cette image d'une immense vague bleue qui emporte Coco dans le tourbillon des émotions, des souvenirs, des pensées confuses et contradictoires avec toujours dans un coin de son esprit et cachées dans le recoin du décor des dessins qu'elle nous propose les deux ombres noirs et silhouettes symboles du terrorisme, de la mort et de la culpabilité. Les quelques pages qui retracent l'attentat sont absolument glaçante et bouleversante une journée presque ordinaire qui d'un coup monte en tension et bascule jusqu'à un trou noir dans lequel raisonne le Tak Tak Tak des kalashs et les cris de victoires des frères Kouachi. En quelques pages Coco décris alors la cruelle et terrifiante litanie de la culpabilité et des "Et Si..." qui se bousculent dans sa tête et envahissent alors les pages de plus en plus fragmentées. Et puis Coco presque libérée se souvient des jours d'après, du besoin de poursuivre le journal, des doutes, des tristesses, des colères, des peurs, des enterrements, des manifestations du 10 et 11 janvier entre espoirs, amertumes et sourires lorsque qu'on oiseau viendra honorer François Hollande d'une fiente comme un dernier clin d'œil amusé du ciel. Coco se souviendra des combats, du procès des caricatures , de l'attentat du deux novembre 2011, d'une classe politique qui avant d'être Charlie était bien plus divisée sur son soutien unanime au journal . Mais surtout Coco se souvient du courage de Charb, du sourire timide et des conseils de Cabu, d'Honoré, de Wolinski, de Tignous ...des fous rires. Doucement le souvenir d'eux vivants redevient plus forts que celui de ce jour funeste ou des barbares ont voulu faire taire la liberté de pouvoir rire de tous ces tristes cons. Il reste la culpabilité d'être en vie mais la certitude qu'il faut continuer pour honorer leurs mémoires et leurs combats. La vague emporte et emportera encore Coco dans cet éternel tourbillons de sentiments mais les ombres de la mort et de l'ignominie se dissipe doucement.

Saisir un crayon, conjurer la mort, faire la nique à ces cons et DESSINER ENCORE !!