Ben Barka, la disparition
Ben Barka, la disparition

BD franco-belge de Jacques Raynal (2025)

Enquête ionnante, véritable thriller et devoir de mémoire indispensable.

Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60.

Une enquête ionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable.


La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël.

Le journaliste David Severnay (né en 1970) est l'un des fondateurs de La Revue Dessinée, revue d'information en bande dessinée dont le premier numéro est paru en 2013 et qui nous a déjà donné (entre autres exemples) l'adaptation des thèses économiques de Thomas Piketty avec le remarquable album Capital & Idéologie.

Il est ici accompagné du dessinateur Jacques Raynal (ou Jake Raynal, né en 1968) : le duo avait déjà travaillé sur l'album "La septième arme".

Avec cet album, Ben Barka : la disparition, ils tentent de donner un nouveau point de vue sur cette affaire que beaucoup voudraient avoir enterrée depuis longtemps.


➔ Nous ne sommes pas dans une bande dessinée classique mais plutôt à la limite du roman graphique. Les dessins de Raynal sont d'un beau noir et blanc, très contrasté, avec de grands aplats noirs, ce qui donne au récit un ton austère, sérieux et journalistique. Un dessin tout au service de l'enquête.


Et puis bien sûr il y a l'Affaire elle-même et l'enquête : le déroulement des faits et les hypothèses (soigneusement recoupées par les auteurs) sur la disparition de l'homme politique opposant au nouveau régime marocain : barbouzes de tous poils, diplomates et politiques, voyous et anciens collabos, flics et agents du Sdece, ... tous ont travaillé main dans la main avec le cabinet noir des services secrets marocains menés par le général Mohamed Oufkir, le boucher du Rif.

L'ambitieux et populaire Ben Barka gênait beaucoup trop de monde dont les français qui voyaient arriver le virage de la décolonisation. On entrevoit même les ombres de la CIA et du Mossad planer sur cette histoire.


Les auteurs prennent le temps nécessaire pour nous présenter les différents protagonistes, les enjeux politiques, diplomatiques et internationaux de cette affaire dans laquelle notre République s'est, une fois de plus, brillamment illustrée. Il y a même, en fin d'ouvrage, une série de fiches récapitulatives sur les protagonistes les plus importants.


On peut s'interroger sur l'intérêt de ressortir encore aujourd'hui cette vieille histoire jamais élucidée ?

Mais l'enterrer trop rapidement dans un recoin obscur avec le corps de Mehdi Ben Barka, reviendrait à oublier de nombreuses questions.

Oublier que l'ombre de cette affaire plane encore sur les relations franco-marocaines.

Oublier qu'aucun des présidents successifs de notre république n'a souhaité faire la lumière sur ces événements, de Giscard à Macron en ant par Chirac, Mitterrand ou Hollande.

Oublier que la justice française reste bloquée depuis des dizaines d'années malgré l'obstination courageuse de quelques juges : il s'agit là du « dossier d'instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française ».

Oublier que pour tenter de faire avancer le dossier, le juge Patrick Ramaël a même perturbé la rencontre de Sarkozy avec Mohammed VI en 2007. Le président français était accompagné de Rachida Dati, alors ministre de la justice (elle est d'origine marocaine).

Oublier les mots, cités dans l'album, des mots de 1966 publiés par Pierre Viansson-Ponté dans le journal Le Monde à propos de cette affaire :

« [...] L'abus du renseignement, le goût du secret, le recours aux méthodes occultes, aux agents, aux réseaux, aux polices parallèles, sont [...] inhérents au compagnonnage gaulliste.

Ils en sont aussi le vice majeur. »

Enfin, il ne faut pas oublier non plus comment certains journaux (et non des moindres : L'Express, Minute, ...) ont été totalement manipulés pour livrer au public de fausses explications à la disparition de Ben Barka.

Voilà donc bien un album utile et nécessaire à notre mémoire, un travail qui résonne comme un écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat dans Cher pays de notre enfance.

8
Écrit par
BMR

Créée

le 12 mai 2025

Bruno Menetrier

Écrit par

Du même critique

Quelque chose de pourri dans notre royaume du Danemark.

Encore un film de guerre en Afghanistan ? Bof ... Oui, mais c'est un film danois. Ah ? Oui, un film de Tobias Lindholm. Attends, ça me dit quelque chose ... Ah purée, c'est celui de Hijacking ...

le 5 juin 2016

10 j'aime

2

La femme ou la valise ?

Premier film de Hossein Amini, le scénariste de Drive, The two faces of January, est un polar un peu mollasson qui veut reproduire le charme, le ton, les ambiances, les couleurs, des films noirs...

le 23 juin 2014

10 j'aime

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015. C'est par fidélité au suédois et...

le 10 oct. 2016

9 j'aime

1