En toute honnêteté, avant même de l’avoir lu, je savais que j’allais adoré. J’avais déjà apprécié la pâte de David Muzzucchelli sur son travail avec Miller (Batman & Daredevil) et, plus tard, sur des œuvres plus personnelles comme City of Glass ou Rubber Blanket. Mais, ce qui a surtout attiré mon attention, c’est l'esthétique si particulière et le pitch, simple en apparence, de l'oeuvre. L’histoire d’un fils d’immigrant, brillant universitaire, qui fait face à une rupture ce qui entraîne, par extension, une rupture dans son système.
Architecte, intellectuel, populaire, Asterios a tout pour plaire. Toujours le bon mot en soirée, iré par ses élèves et ses confrères malgré le fait qu’aucun de ses dessins n’ait jamais été réalisé. Un personnage qui vit dans l’abstrait donc où logique et systèmes font office de loi. Personnellement, c’est un personnage qui me parle, évoluant moi-même dans un milieu académique et ayant des démons similaires: dualité et logique face à la complexité et la richesse de la réalité.
Ajouter à cela un lot de personnages attachants et haut en couleurs qui viennent graviter autour de cette masse égocentrique qu'est Asterios. Ursula et son mari, Hana, Willy, Geronimo … tous sont dépeints avec sincérité et tous permettent de mettre en lumière notre personnage principal, sa philosophie, son talent et ses défauts. Et bien évidemment, toute la grammaire propre au medium est usée à bon escient pour les décrire. A titre d’exemple, Asterios arbore un visage taillé à coups de serpe, tout en lignes, précis et stylisé mettant en exergue sa vision logique et esthétique du monde.
Objectivement parlant, l’œuvre fait preuve d’une maestria qui impose le respect. David a pris du temps pour pondre son œuvre maîtresse, sans aucun doute la plus personnelle et aboutie d’entre toutes, qui vient clore une carrière déjà bien remplie. Tout les outils mis à disposition par le medium sont utilisés intelligemment, servant le fond par une multitudes de techniques différentes transcendant par la même occasion les limites imposés par la BD. Le rythme est lui aussi très particulier, le roman graphique contenant des ages parfois assez denses espacé par des ages qui prennent leurs temps, qui s’étalent. Le tout rendant la lecture très agréable, je dirais même addictive.
Une histoire simple et un format presque humble malgré l’évidente complexité du propos qui brasse moult concepts mythologique et philosophique. Une œuvre forte et parfaitement maîtrisé, porte-étendard de ce que la bande dessinée peut offrir. L’œuvre d’un auteur qui a pu digérer des années de pratique et nous offrir un joyau brut qui va à l’essentiel. Je me permettrais ici une petite comparaison à une autre grande œuvre : Watchmen. Véritable cathédrale signé Alan Moore, œuvre rayonnante, considéré – à raison – comme un des tout meilleurs comics. A mon gout, Watchmen a cependant la fâcheuse tendance à être verbeux, pompeux et classique dans sa forme, pris au piège du style qu’il a choisi. Tout y est calculé, virtuose par moments, mais la forme reste convenu et elle n'est finalement pas si propre au médium. Tant est si bien que son adaptation en film rende assez bien les messages principaux de l'oeuvre (même si, évidemment, le film reste moins riche et moins complexe).
A l’inverse, pourrait-on faire de même avec Asterios Polyp ? J’aurais tendance à dire que non ou, si faite, l’adaptation aurait été totalement différente de l’œuvre originale. Evidemment le caractère non-adaptable d'une oeuvre n'est pas synonyme de qualité mais elle suggère la dépendance de celle-ci au médium, à sa grammaire qui, probablement, porte une partie essentiel du propos. Ainsi, par son ancrage et sa compréhension du médium, pour sa complexité mêlée de légèreté, je vous conseille vivement Asterios Polyp. Un classique a partagé au plus grand nombre. Essentiel.