Temple of the Dog
7.3
Temple of the Dog

Album de Temple of the Dog (1991)

Requiem grunge

L’aura, c’est quand même un détail à double tranchant. Typiquement le genre d’information qui va modeler des attentes et probablement pousser vers une déception pure et dure. Mais quand la réputation d’une œuvre est à la hauteur (ou du moins, conforme à ce qu’on attendait), alors elle prend une tout autre dimension. Appelez ça de l’attachement, de la subjectivité, peu importe. Ce sentiment très personnel change rapidement la donne au point de transformer un simple disque en une œuvre transcendante pour une grande quantité de gens.


Joy Division est peut-être l’exemple le plus connu. Toutefois, l’unique album de Temple of the Dog est aussi concerné. Tous ceux qui se sont intéressés à la scène de Seattle connaissent forcément son histoire. Celle de ce super groupe composé des membres de Soundgarden et Pearl Jam. Formé sous le prétexte de rendre hommage au chanteur de Mother Love Bone (Andrew Wood), décédé d’une overdose d’héroïne. Des détails qui servent surtout à faire joli dans les manuels d’histoire.


Parce que cet album, beaucoup ne sont pas disposés à l’aimer. Surtout ceux qui font partie des ayatollahs lourdingues pensant que le grunge est surtout une branche du punk qui aura permis à renverser la vapeur entre un rock issu de l’underground et un glam metal avachis dans le confortable fauteuil du succès, entre deux rails de coke et deux filles de joie aux seins siliconés. Le grunge, c’était plutôt du hard rock déviant car mâtiné d’éléments étrangers (donc pas si éloigné du style qu'il a contribué à tuer). Ici, point de punk et encore moins de noise. Temple of the Dog, c’est du hard rock classieux et soulful qui ne dit pas son nom. Chris Cornell s’empare du micro et en fait souvent des tonnes au point qu’il est capable de faire de la concurrence à Otis Redding dans l’outrance vocale. Ce disque, on veut le détester.


Sauf que ça ne fonctionne pas. Car derrière ses oripeaux luxueux (le son est propre, naturel et enrichi d’arrangements un peu inhabituels pour du grunge) et son aspect too much, cette musique noue la gorge. Elle vient effectivement du cœur de ces types réellement attachés à leur copain et surtout, ils ont les moyens de leurs ambitions. « Hunger Strike » en est l’exemple le plus éclatant. La rencontre entre deux des plus grandes voix d’une scène qui n’en manquait pourtant pas. Cornell et Eddie Vedder délivrent leur soul sur un folk rock d’une magnifique évidence. Parce qu’en dépit des quelques ages rageurs (« Pushin Forward Back » et le solo aussi interminable que jouissif de Mike McCready sur « Reach Down »), Temple of the Dog reste plutôt doux et mélodique malgré sa grandiloquence.


On peut concéder que l’excès d’interprétation sur « Four Walled World » a du mal à er par instant. Mais c’est parce que cette composition est certainement la moins remarquable. Ce qui renforce cette idée que toute cette démesure lyrique est finalement incritiquable, puisque ces morceaux forment une étoffe tissée d’or. Le talent et la ion transcendant les fautes de goût pour livrer une musique brûlante de sincérité et donc touchante à sa façon (le break aérien de « Your Saviour » après un grand moment de rock lourd en prend tout son sens).


Évidemment, le rapport avec le metal lourd et psychédélique de Soundgarden est inexistant. Celui avec Pearl Jam est toutefois plus évident, en particulier Ten. C’est le même genre de rock qui cache un cœur gros comme ça derrière son armature de hardos. A la différence que Temple of the Dog évite de trop lorgner sur les stades avec ses influences americana (« Times of Trouble » et « Wooden Jesus ») et que l’optimisme remplace le fatalisme ici.


C’est d’ailleurs ce détail expliquant son succès commercial et ce qui peut pousser certains à dédaigner cet album. En 1991, qui aurait pensé que le grunge allait s’enfoncer dans les affres de la dépression après une telle sortie ? Contrairement à l’image qu’on a souvent conservée de ce courant, ce monument est lumineux comme du gospel. Car même s’il fut bâti sur la mort d’un proche, il n’en devient pas moins, grâce à ses interprètes, une formidable ode à la vie.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

8
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le 4 févr. 2016

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Seijitsu

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