Muscle of Love
7
Muscle of Love

Album de Alice Cooper (1973)

Goodbye Alice Cooper

"Hard hearted Alice

Is what we want to be"



À l’heure où Alice Cooper annonce la reformation du Alice Cooper Band d’origine (minus Glen Buxton qui nous a malheureusement quittés) en sortant The Revenge Of Alice Cooper, nouvel album inédit en près de 50 ans, il peut être intéressant de mettre le focus sur les circonstances de leur divorce. Si Vincent Furnier/Alice Cooper a eu la carrière flamboyante portée par des excès en tous genres qu’il a eus, il ne faut pas oublier l’influence que le groupe a eue sur lui. C’est pourquoi aujourd’hui nous allons nous pencher sur le très curieux Muscle Of Love, dernière livraison du Alice Cooper Group, parue le 20 novembre 1973 pour Warner Bros. Records.


Le groupe Alice Cooper est un ensemble sans équivalent. Comme les Rolling Stones, ils ont su créer une marque, représentée par leur personnage principal : la fameuse Alice Cooper, à laquelle on prête de nombreuses et différentes origines. Tout cela correspond à une savante opération marketing, en faisant s’effacer les hommes pour conserver le mythe (Roland Barthes n’est jamais très loin). Le Alice Cooper Group est révolutionnaire : porté par une armature hard glam de première catégorie, ils sont tout simplement inventeurs du shock rock, basé sur une esthétique violente et exagérée inspirée par l’imaginaire de terreur dont la fête d’Halloween est à l’époque le principal représentant. D’abord chapeauté par Frank Zappa et inspiré par les Beatles et le rock psychédélique, Alice Cooper se libère rapidement de ses influences pour créer son propre ouvrage, un rock trash typiquement américain. Dès Love It To Death, leur troisième album, cette image s’impose, portée par leur premier hit « I’m Eighteen » (and I don’t know what I want…), ode au désabusement de la jeunesse en ces premiers temps post-hippie. KillerSchool’s Out et Billion Dollar Babies prolongent ce parti pris avec succès, puisque Alice Cooper prend une ampleur nationale, couronné par les critiques et le public. Malgré leurs apparats de rock direct, le groupe explore déjà une large diversité de styles musicaux qui lui permettent de ne pas s’enfermer dans le ghetto du style. Aidés par le producteur canadien Bob Ezrin, ils se mesurent sans souci aux autres mastodontes de l’époque et font le bonheur de Warner Bros., leur label.


Alice Cooper, c’est également la création d’une esthétique. Le fait est connu : le metal actuel doit énormément aux innovations scéniques du groupe, créateur du shock rock. Effectivement, choquer le public par une violence simulée et une musique sans pareille. Les shows d’Alice prennent une direction de plus en plus théâtrale, avec des décors, une trame, des acteurs, et se finissent irrémédiablement par l’exécution du chanteur par des moyens délicieux comme la chaise électrique, la pendaison ou la guillotine. Proposer un réel spectacle, tenter de réveiller les instincts voyeurs qui faisaient se déplacer les foules aux exécutions publiques les siècles précédents. Néanmoins, cet aspect théâtre commence à déranger les autres membres du groupe car il entraîne un décentrement de l’attention : la star n’est plus le groupe mais Alice elle-même, incarnée par Vincent Furnier. Celui-ci commence d’ailleurs à vouloir s’éloigner de la formule hard glam qui les a rendus célèbres pour se concentrer sur d’autres styles, moins frontaux. Le fossé entre Vincent/Alice et les autres se creuse, d’autant que lui seul a la charge de la promotion, enchaînant les interviews et les murges avec d’autres pontes du rock comme Keith Moon ou ce pauvre John Lennon, alors en plein Lost Weekend loin de sa Yoko chérie. Cette nouvelle volonté arty de Vincent Furnier est motivée par sa rencontre importante avec Salvador Dalí, l’ayant inspiré à injecter de l’absurde dans ses performances et à se donner à l’Art, par-dessus tout.


C’est dans ce contexte étrange que Muscle Of Love se crée, sur un fond de tension rémanent entre le groupe et Vincent Furnier, ainsi que sur un changement obligatoire de producteur, notre ami Bob Ezrin étant en pleine récupération de l’enregistrement éreintant du Berlin de Lou Reed. Il est remplacé par le binôme Jack Richardson – Jack Douglas (qui deviendra vite, pour Douglas, le producteur d’Aerosmith). Enregistré entre New York et Los Angeles, Muscle Of Love est le dernier manifeste d’un groupe au sommet de son succès commercial et critique. Néanmoins, comme le diront ces mêmes critiques, le résultat est en demi-teinte et cet album reste le moins apprécié de la période impériale du Alice Cooper Group.


Pourtant, Muscle Of Love recèle des perles méconnues et a de réelles forces. De plus, il est clairement révélateur de la direction que Vincent Furnier prendra lors de sa carrière solo en tant qu’Alice Cooper. Moins direct que ses prédécesseurs, ce dernier album reste le plus éclectique, riche d’une diversité de nouveaux sons jamais entendus chez Alice Cooper.


L’album débute par voir ma chronique du Kill City d’Iggy Pop et James Williamson à ce sujet).


« Hard Hearted Alice » est une première pièce de résistance. Il s’agit d’un ouvrage à tiroirs, le morceau se découpant en différentes phases, allant crescendo. Le début est marqué par un orgue discret, la fin par le tonnerre rythmique des artificiers Dunaway et Smith. Je n’irai pas jusqu’à dire que ce morceau est le manifeste progressif d’Alice Cooper, néanmoins il démontre l’expertise indéniable des musiciens qui entourent le boa de Vincent Furnier. Si Alice a le cœur lourd, c’est peut-être parce que son monde part à vau-l’eau. Suit le délire cabaret de « Crazy Little Child ». Ce n’est cependant clairement pas du jazz, mais Alice Cooper expérimente avec des mandolines et des clarinettes, donnant ce délicieux morceau baltringue qui n’aurait pas détonné sur Indiscreet des Sparks, sorti un peu plus tard.


La face B commence par l’explosion épique « Working Up a Sweat », Alice retrouve ses premières amours par une attaque frontale de nos oreilles. Noyé dans les chœurs, le groupe semble retrouver l’unité perdue dans le titre précédent. La chanson-titre prolonge le tir : elle est tout ce qu’il y a de plus séduisant, tout ce qu’on pourrait attendre d’un Alice Cooper au sommet de sa forme. On sent l’héritage des albums précédents.


« Man With The Golden Gun » est un autre titre important. En effet, Alice rêve à James Bond et offre ce titre pour illustrer The Man With The Golden Gun, deuxième opus de l’anglais Roger Moore, où il affronte le terrible Scaramanga, l’homme au pistolet d’or. Les producteurs lui préféreront la version glam cuivrée de Lulu. L’aspect bondien du titre est souligné, révélateur d’une réelle finesse d’écriture musicale. Dommage ! Alice Cooper au générique de James Bond, ça n’aurait pas tant détonné… C’est un autre des titres importants de l’album.


« Teenage Lament ’74 » est le single principal de Muscle Of Love… et n’a en somme rien à voir avec Alice Cooper ! Dans ce titre enlevé, gorgé de chœurs (Ronnie Spector, les Pointer Sisters), Alice se met à la place d’un adolescent fan de rock en 1974 (logique). Tout l’imaginaire rock’n’roll est convoqué pour cette chanson portée par un riff de guitare fin et complexe. Alice Cooper se fait pop, « Teenage Lament ’74 » en est clairement la preuve. Nous arrivons au dernier titre : le bourrin « Woman Machine », toujours très inspiré par les Rolling Stones. Cela prend clairement moins que sur les titres précédents, achevant Muscle Of Love sur cette demi-teinte. On ressent la même chose que lorsqu’on aperçoit une silhouette en carton représentant un être contenu, mélange de contentement et de déception.


Sorti sous une pochette imitant un carton de transport se moquant gentiment de son contenu, ce dernier disque du Alice Cooper Groupe ne connaîtra pas le succès de ses prédecesseurs. Il peinera là où les autres roulèrent sur la concurrence, plaçant les américains au premier plan dans l'actualité du rock. Néanmoins, Muscle Of Love reste un album absolument important, à clairement réévaluer. Il est nécessaire à la bonne compréhension de la transformation d’Alice Cooper, d’un mythe collectif à une légende personnelle. En effet, ce sera le dernier manifeste du Alice Cooper Group, la formation se séparant en deux entités : l’entièreté des musiciens forme Billion Dollar Babies, formation éphémère, et Vincent Furnier devient, devant Dieu et l’état civil, Alice Cooper en personne. C’est la suite des aventures de Vincent qui a tendance à intéresser, il fait entrer sa musique dans une nouvelle dimension : celle du concept. Son prochain album, Welcome To My Nightmare, se plongera dans les affres des rêveries affreuses d’un jeune adolescent. Épaulé par Bob Ezrin et par les musiciens de Lou Reed (Dick Wagner en tête), ainsi que par l’alcoolisme, Alice Cooper accomplira des merveilles… Mais c’est une autre histoire !


Muscle Of Love est en cela révélateur de la réelle portée pop d’Alice Cooper. Il veut (et réussira) à élargir sa musique vers d’autres genres sans perdre son identité propre. Cet album représente le début de ce processus qui amènera certains des albums les plus importants des seventies.


Donc, Muscle Of Love, le baroud d’honneur d’un Alice Cooper, puisse-t-il reposer en paix.

8
Écrit par

Créée

le 14 mai 2025

Critique lue 31 fois

1 j'aime

lyons_pride_

Écrit par

Critique lue 31 fois

1

D'autres avis sur Muscle of Love

Goodbye Alice Cooper

"Hard hearted AliceIs what we want to be"À l’heure où Alice Cooper annonce la reformation du Alice Cooper Band d’origine (minus Glen Buxton qui nous a malheureusement quittés) en sortant The Revenge...

le 14 mai 2025

1 j'aime

Sympa mais pas si musclé

L'écoute est plaisante mais seul un ou deux titres m'ont vraiment tiré l'oreille parce qu'ils étaient plus originaux, que l'ambiance décalée était particulière... Le reste est bien fait mais plus...

le 7 janv. 2016

1 j'aime

Sous Deep Purple ?

Il manque beaucoup de choses à « Muscle of love » pour séduire votre serviteur à savoir de l’instinct, des crocs et des griffes…Très daté dans sa production, « Muscle of love » fait penser à du...

le 12 août 2023

Du même critique

Le Temps A é, Seules Restent Les Pensées.

Michel Polnareff, avec d'autres éminents personnages comme Gainsbourg, Dutronc ou même ce cher Daho, est un des seuls français à s'être inséré à l'international. C'est vrai, qui d'autre osait en...

le 22 oct. 2022

6 j'aime

Station to Station
10

Throwing darts in lover's eyes

53 kilos, régime à la coke, aux poivrons et au lait, croyant voir des fantômes venus de la part des Rolling Stones dans sa grande villa de L.A., voilà à quoi ressemble le David Bowie de 1975...

le 13 déc. 2021

6 j'aime

2

Nos Allures Sages

Couple culte et pourtant méconnu, Elli & Jacno représentent un des sommets de la nouvelle pop française. Icônes de classe, reconnus par bien de nos contemporains (comment ne pas citer ce cher...

le 27 déc. 2022

5 j'aime